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mun, et si nous pouvions nous rencontrer dans quelque coin de cet autre enfer qu’on appelle la terre, je convaincrais Votre Révérence diabolique de ma sincère et inaltérable dévotion envers elle. Ce n’est pas qu’un damné ne puisse donner quelquefois un coup de queue à son confrère, quand il se démène, et qu’il a un fer rouge dans le cul ; mais les véritables et bons damnés voient le cœur de leur prochain, et je crois que nos cœurs sont faits l’un pour l’autre.

Il eût été à souhaiter que le très-révérend père que j’ai tant aimé eût eu plus d’indulgence pour un serviteur très-attaché ; mais ce qui est fait est fait, et ni Dieu ni tous les diables ne peuvent empêcher le passé.

Je trempe avec les eaux du Léthé le bon vin que je bois à votre santé dans ces quartiers. J’en bois peu, parce que je suis le damné le plus malingre de ce bas monde. Sur ce, je vous donne ma bénédiction, et vous demande la vôtre, vous exhortant à faire vos agapes.


2724 — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
À Colmar, le 26 mars.

On me dit, madame, que vous allez à Andlau, et que ma lettre ne vous trouverait pas à Strasbourg ; je l’adresse à M. le baron d’Hattsatt. J’ai fort bonne opinion de son procès ; Dupont m’a lu son plaidoyer, il m’a paru contenir des raisons convaincantes ; il tourne l’affaire de tous les sens, et il n’y a pas un côté qui ne soit entièrement favorable. J’aurais bien mauvaise opinion de mon jugement, ou de celui du conseil d’Alsace, si monsieur votre neveu ne gagnait pas sa cause tout d’une voix. Je me flatte, madame, de vous retrouver à l’île Jard, quand je retournerai à Strasbourg. Il y a six mois que je ne suis sorti de ma chambre ; il est bon de s’accoutumer à se passer des hommes ; vous savez que j’en ai éprouvé la méchanceté jusque dans ma solitude. Le père missionnaire[1] est venu s’excuser chez moi, et j’ai reçu ses excuses, parce qu’il y a des feux qu’il ne faut pas attiser. Le père Menoux a désavoué la lettre[2] qui court sous son nom, et je me contente de son désaveu. Il faut sacrifier au repos dont on a grand besoin sur la fin de sa vie. Comme je m’occupe à l’histoire, je voudrais bien savoir s’il est vrai qu’il y ait eu autrefois un

  1. Le jésuite Merat.
  2. Sans doute celle que nous avons donnée sous le n° 2697.