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putain, j’y consens ; mais que l’amitié soit la consolation des pauvres séculiers comme moi. Un ami comme vous vaut mieux que toutes les femmes ; j’en excepte Mme  Dupont.

J’excepte aussi madame la première présidente, à qui je vous supplie de présenter mes profonds respects, aussi bien qu’à monsieur le premier président[1]. Je suis plus malade que je n’étais. Il faut du courage pour supporter la maladie et votre absence, V.


2717. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[2].
À Colmar, 16 mars 1754.

Madame, je fais partir par la voie du sieur Milville, de Strasbourg, les premiers exemplaires du second tome des Annales de l’Empire, qui sortent de la presse. Je ne crains point d’être écrasé par les pierres d’un bâtiment que j’ai élevé par vos ordres, et qui n’est que le temple de la vérité consacré à Votre Altesse sérénissime. J’ai essuyé, je l’avoue, bien des malheurs depuis que j’ai quitté ce palais d’Ernest le Pieux et de Dorothée, que je serais bien fâché d’appeler la Pieuse, mais que j’appellerai toujours la bienfaisante, la sage, la juste, l’adorable.

J’ai supporté tous ces malheurs, madame, avec quelque constance ; et ni le spectacle d’une femme qui m’est plus chère qu’une fille unique, traînée par des satellites à Francfort et presque mourante entre mes bras, ni la perte de tout ce qu’on m’a volé, ni les persécutions acharnées du roi de Prusse, qui m’ont ravi jusqu’à la liberté de retourner à Paris, ni la dissipation de mon patrimoine pendant mon absence, ni enfin les maladies qui m’ont mis au bord du tombeau, rien n’a suspendu l’ouvrage que vous m’aviez ordonné. Vous m’avez inspiré, madame, le courage de ce magnanime Jean-Frédéric, qui joua aux échecs quand on lui eut lu l’arrêt qui le condamnait. Ce n’est pas que je sois insensible ; mais j’ai eu toujours pour maxime que l’occupation et le travail sont la seule ressource contre l’infortune. Une ressource bien plus sûre, ainsi que plus douce, serait sans doute de venir me mettre à vos pieds, et de me faire présenter par Jeanne et par Charles VII, soutenus de la grande maîtresse des cœurs ; de voir, d’entendre Votre Altesse sérénissime, de fouler aux pieds avec

  1. De Klinglin ; voyez lettre 2642.
  2. Éditeurs, Bavoux et François.