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Spencer[1], Goldast[2], et autres messieurs du bel air ? Ce sont ceux qui broient actuellement mes couleurs. Vous peignez des choses agréables d’une main légère, et moi des sottises graves d’une main appesantie.

Je baise vos belles mains, et je décrasserai les miennes quand je vous verrai. Vous ne me dites rien du conseiller[3] ; faites-lui bien mes compliments.


2668. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Colmar, le 24 novembre.

Mon cher ange, votre lettre vient bien à propos. Les consolations sont proportionnées aux souffrances. Mon état tourmentait mon corps, et la maladie de ma nièce déchirait mon âme ; la goutte est le moindre de mes maux. Vous me parlez de tragédie ! Les malheurs qu’on représente au théâtre (car que peut-on peindre que des malheurs ?) sont au-dessous de tout ce que j’éprouve. Il faut un peu de stoïcisme ; mais le stoïcisme ne guérit de rien. Je tâche de rendre un petit service à la fille[4] de Monime, quoique je sois à treize lieues d’elle. J’ignore quand j’aurai la force de me transplanter et d’aller jusqu’à Sainte-Palaye[5] ; mais où n’irai-je point dans l’espérance de vous voir ? Cependant quelle triste commission pour Mme  Denis d’être garde-malade à la campagne !

Ne vous attendez pas, mon cher ange, que l’Histoire très-abrégée de l’empire vous amuse comme le Siècle de Louis XIV ; c’est un champ mille fois plus vaste, mais plein de bruyères et de ronces. Les âmes sensibles, et faites pour les choses de goût, frémissent au nom d’Albert l’Ours et de Wittelsbach ; mais, dans l’oisiveté de mon séjour à Gotha, Mme  la duchesse de Saxe[6] avait exigé de moi ce travail, que j’entrepris avec ardeur. Je ne savais pas alors que d’autres personnes[7], plus en état que moi de remplir cet objet, faisaient une histoire d’Allemagne dans le goût de celle du président Hénault.

  1. Spencer (Philippe-Jacques), né on 1635, mort on 1750.
  2. Goldast (Melchior), né en 1576, mort en 1635.
  3. L’abbé Mignot.
  4. Voyez page 113.
  5. Voyez la lettre 2519.
  6. Voyez tome XIII. page 191.
  7. Christian-Frédéric Pfetfel, né à Colmar en 1725, mort le 19 mars 1807, est auteur d’un Abrégé chronologique de l’histoire et du droit public d’Allemagne, 1754, in-8°, plusieurs fois réimprimé.