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2661. — À M. BORDES[1].
Auprès de Colmar, le 26 octobre.

J’ai trop différé, monsieur, à vous remercier des témoignages de sensibilité que vous avez bien voulu me donner dans vos vers ; ils partent du cœur, et sont pleins de génie. Je ne peux vous répondre que dans une prose fort simple : c’est tout ce que me permet la maladie dont je suis accablé, et qui augmente tous les jours ; elle m’a arrêté en Alsace, où j’ai un petit bien, et probablement l’état où je suis ne me permettra pas d’en partir sitôt. J’aurais bien voulu passer par Lyon ; vous augmentez, monsieur, le désir que j’avais de faire ce voyage. Si vous voyez M. l’abné Pernetti, qui est, je crois, votre confrère et le mien, vous me ferez un sensible plaisir de vouloir bien lui faire mes compliments. Pardonnez, je vous prie, à un pauvre malade qui ne put vous écrire de sa main.

J’ai l’honneur d’être, etc.


2662. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
Prés de Colmar[2], le 9 novembre.

Il y a quatre ou cinq mois, mon cher marquis, que je n’ai reçu de vos nouvelles, et enfin vous me faites des reproches de mn silence. Nous avez raison. Comment voulez-vous que je me souvienne de mes amis, quand je jouis de la santé la plus brillante, et que je nage dans les plaisirs ? L’éclat éblouissant de mon état fascine toujours un peu les yeux. Il faut pardonner à l’ivresse de la prospérité ; cependant je vous assure que, du sein de mon bonheur, qui est au delà de toute expression, je suis très-sensible à votre souvenir. Je vous suis plus attaché qu’à Zulime ; je ne suis guère dans une situation à penser aux charmes de la poésie et aux orages du parterre, et je vous avoue qu’il me serait bien difficile de recueillir assez mon esprit pour penser à ce qui m’amusait tant autrefois. Vous proposez le bal à un homme perclus de ses membres. Cependant, mon cher marquis, il n’y a rien que je ne fasse pour vous quand j’aurai un peu repris mes sens ; mais à

  1. Charles Bordes ou Borde, né à Lyon le 6 septembre 1711, mort dans sa ville natale le 15 février 1781.
  2. Sans doute encore à la papeterie de Schœpflin à Luttenbach. Colini dit que Voltaire partit le 28 octobre ; mais ce dernier dut y retourner quelquefois.