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comme une folie d’Alcibiade[1], le plus éloquent des Grecs, comme le plus grand capitaine. Un sophiste[2], plus dur qu’un Scythe, homme à idées creuses, brouilla cette pauvre diablesse avec ce beau Grec, qui la renvoya à coups de pied au cul en Arcadie. Elle passa chez une descendante d’Hercule[3], qui tâcha de la consoler, et qui la recommanda à un Grec[4], homme de beaucoup d’esprit. Cet homme fit tout ce qu’il put pour toucher Alcibiade ; mais il ne savait pas que la catin en faveur de laquelle il s’intéressait était un peu ridée. Alcibiade répondit au Grec : « Je sais bien que cette pauvre femme m’aime de tout son cœur ; mais elle n’est plus jolie : il ne s’agit pas de m’aimer, il s’agit de me plaire. — Mais pourquoi lui donner des coups de pied dans le derrière ? lui dit le Grec. — Oh, parbleu ! dit Alcibiade, la voilà bien malade : je lui ai fait cent fois plus de plaisir en ma vie que de mal. »

Sur ce, j’ai l’honneur, etc.


2660. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Dans mes montagnes, ce 24 octobre.

Comment ! madame, est-ce que vous n’auriez pas reçu la lettre datée de mes montagnes, et mes remerciements des belles nouvelles de la fermeté romaine du Grand-Châtelet de Paris ? Tout ceci est le combat des rats et des grenouilles[5]. On songe à Paris à de misérables billets de confession, et on ne songe ni à la petite vérole ni à l’autre. Ces deux demoiselles font pourtant plus de ravage que le clergé et le parlement. On voit tranquillement nos voisins les Anglais se garantir au moins de la petite. Vous n’entendrez parler à Londres d’aucune dame morte de cette maladie : l’insertion les sauve, et l’on n’a pas ou encore le courage de les imiter, M. de Beaufremont est le seul qui ait fait inoculer un de ses enfants, et on s’est moqué de lui : voilà ce qu’on gagne en France. Tout ce qui est au-dessus des forces de la nation est ridicule. Si j’avais un fils, je lui donnerais la petite vérole avant de lui donner un catéchisme.

Je retournerai bientôt de ma solitude dans la grande ville de Colmar. J’ai été voir les ruines du château de Horbourg, sur les

  1. Frédéric.
  2. Maupertuis.
  3. La durhesse de Saxe-Gotha.
  4. Gotter, grand maréchal de la maison du roi de Prusse. Voyez la lettre du 1er octobre 1757 à d’Argental.
  5. Chanté par Homère sous le titre de Batrachomyomachie