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chartreuse ! Mais alors j’aurais peur que la montagne n’accouchât d’une souris. Mon pauvre petit génie ne peut plus faire d’enfants. Il me semble que ce que vous savez[1] m’a manqué.

Ce qui ne me manquera jamais, c’est ma tendre amitié pour vous. Cette idée seule me console. Je me flatte que Mme  d’Argental et vos amis ne m’oublient pas tout à fait. Adieu, mon cher ange ; pardonnez-moi d’avoir été si longtemps sans vous écrire ; il faut enfin que je vous avoue que j’avais fait quatre plans bien arrangés scène par scène ; rien ne m’a paru assez tendre : j’ai jeté tout au feu.

Adieu, mon cher ange.


2656. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Dans les Vosges, le 14 octobre.

J’ai été, madame, chercher dans les Vosges la santé, qui n’est pas là plus qu’ailleurs. J’aimerais bien mieux être encore dans votre voisinage ; cette petite maisonnette dont vous me parlez m’accommoderait bien. Je serais à portée de faire ma cour à vous et à votre amie[2], malgré tous les brouillards du Rhin. Je ne peux encore prendre de parti que je n’aie fini l’affaire[3] qui m’a amené à Colmar. Je reste tranquillement dans une solitude entre deux montagnes, en attendant que les papiers arrivent. Toutes les affaires sont longues ; vous en faites l’épreuve dans celle de monsieur votre neveu[4]. Tout mal arrive avec des ailes, et s’en retourne en boitant. Prendre patience est assez insipide. Vivre avec ses amis, et laisser aller le monde comme il va, serait chose fort douce ; mais chacun est entraîné comme de la paille dans un tourbillon de vent. Je voudrais être à l’île Jard, et je suis entre deux montagnes. Le parlement voudrait être à Paris, et il est dispersé comme des perdreaux. La commission du conseil voudrait juger comme Perrin-Dandin, et ne trouve pas seulement un Petit-Jean qui braille devant elle. Tout est plein à la cour de petites factions qui ne savent ce qu’elles veulent. Les gens qui ne sont pas payés au trésor royal savent bien ce qu’ils veulent ; mais ils trouvent les coffres fermés. Ce sont là de très-

  1. l’Orphelin de la Chine, auquel Voltaire songeait alors, ne tarda pas à prouver que son auteur ne manquait pas encore de ce que vous savez. (Cl.)
  2. Mme  de Brumath.
  3. L’impression des Annales de l’Empire, confiée à Srhœpflin le jeune.
  4. Le baron d’Hattsatt. (Cl.)