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un homme qui a été condamné à être sous la potence et à traîner la brouette à Dresde. Toutes ces affreuses circonstances sont connues dans toutes les cours, et Sa Majesté les ignore peut-être.

Pour moi, madame, quel est mon état ? Je suis vieux et infirme. J’avais sacrifié au roi les dernières années de ma vie. Je n’ai vécu que pour lui seul pendant trois années. Tout mon temps a été partagé entre lui et le travail. J’ai tout abandonné pour lui. Il le sait. Ne se souviendra-t-il que d’une malheureuse querelle littéraire ? Il faut, madame, vous dire la vérité ! Votre Altesse royale est digne de l’entendre. Tout le mal vient de la lettre que le roi fit imprimer contre Kœnig et contre moi dans le temps qu’il n’était pas instruit de la dispute. Je ne dis pas cela pour diminuer mon tort ; j’avouerai toujours que j’en ai un très-grand de n’avoir pas gardé le silence, et de m’être opiniâtré. Mais quinze ans de rattachement le plus tendre doivent assurément obtenir grâce pour un moment d’humeur. J’ose en faire juge Notre Altesse royale. Je lui demande s’il n’est pas de la gloire d’un aussi grand homme d’oublier une faute et de se souvenir des services ? Faudra-t-il qu’il reste à la postérité tant de monuments de la correspondance dont le roi m’a honoré et de l’idolâtrie que j’ai eue pour lui, et que la postérité dise : Tout a fini par la prison et par insulter une femme innocente ? Ah ! madame, n’y a-t-il de gloire qu’à avoir une bonne armée ? Le roi votre frère aime la véritable gloire, et il la mérite. Il vous aime, il doit vous croire. Madame, il s’agit de signaler la grandeur de votre âme et de toucher la sienne. Faites tout ce qu’il vous plaira. Je me mets entièrement entre vos mains respectables. Je ne parle point à Votre Altesse royale de tout ce qu’on dit à Versailles, à Vienne, à Paris, à Londres ; c’est votre cœur seul qu’il faut écouter. C’est au cœur seul du roi que vous parlerez. Vous le toucherez, puisque vous l’avez entrepris. Le mien sera à jamais pénétré du plus profond et du plus tendre respect pour Votre Altesse royale. Permet-elle que je me mette aux pieds de monseigneur ?


Jadis Frêre Voltaire.

2651. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Strasbourg, 27 septembre.

Madame, votre lettre du 17 septembre est un nouveau lien qui m’attache à Votre Altesse sérénissime. Elle ne doute pas que

  1. Éditeurs, Bavoux et François.