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peux, dans mes moments de relâche, vous remercier qu’en prose. Vous faites si joliment des vers que vous m’ôtez le courage d’en faire, en m’en inspirant le désir. Votre épître est charmante ; je la mérite bien peu, mais je n’en ai que plus de reconnaissance : elle me donne grande envie de voir l’auteur. J’aimerais beaucoup mieux les Platon que les Denis[1]. Soyez persuadé, monsieur, de la sensibilité et de l’estime sincère de votre, etc. V.


2644. — À MADAME LA COMTESSE DE SAXE-GOTHA[2].

Madame, votre chevalier errant est devenu bien sédentaire ; je n’ai pu avoir l’honneur de renouveler mes hommages à Votre Altesse sérénissime, parce que, pour écrire, il faut avoir l’usage des mains, et que les miennes avaient acquis une si belle enflure, et étaient si horriblement potelées, qu’elles n’avaient point du tout l’air d’appartenir à mon faible corps, si mince et si fluet. Mais, madame, il aurait fallu que j’eusse été privé de tous mes sens pour ne pas achever d’obéir à vos ordres ; j’ai toujours eu la force de dicter. Tout est fini, et j’ai environ dix siècles à mettre à vos pieds ; j’aimerais mieux y être moi-même. Je ne vois dans toutes les sottises qu’on a faites, depuis Dagobert, aucune balourdise comparable à celle que j’ai faite de m’éloigner de votre paradis thuiringien, Mme  la duchesse de Gotha ne devait pas être quittée pour Son Excellence le seigneur de Freytag. Aussi Dieu m’en a puni de la bonne façon. Je joins encore une grande peur à mes regrets, et cette peur, madame, est de vous ennuyer. Neuf ou dix siècles en sont bien capables. J’ai fait ce que j’ai pu pour les rendre aussi ridicules qu’ils le sont : les papes quelquefois font mourir de rire, et avec cela je tremble. Il eût mieux valu peut-être ajouter quelques chapitres à l’histoire véritable de Jeanne, et en amuser les soirs Votre Altesse sérénissime, que de lui présenter des siècles et une dédicace. De graves professeurs, qui savent en quelle année accoucha la papesse Jeanne, examinent actuellement le grand œuvre que vos ordres m’ont imposé, et moi, je suis entre les mains des médecins, qui me condamnent à être oisif.

    taire au jurisconsulte alsacien a paru, en 1821, chez Mongie aîné, sous le titre de Lettres inédites, etc., in-8°. La dernière, La soixante-neuvième, est datée du 15 juin 1776. (Cl.)

  1. Denis de Syracuse, auquel Voltaire comparait alors Frédéric.
  2. Éditeurs, Bavoux et François.