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ce qui vous touche ; je suis un de vos plus anciens serviteurs, et je ne suis pas mieux traité que vous par la méchanceté des hommes. Cette vie-ci n’est qu’un jour ; le soir devrait du moins être sans orages, et il faudrait pouvoir s’endormir paisiblement. Il est affreux de finir au milieu des tempêtes une si courte et si malheureuse carrière. Ce serait pour moi, madame, une satisfaction bien consolante de pouvoir vous entretenir, de vous parler de nos anciens amis (s’il est des amis), et de vous renouveler tous les sentiments qui m’ont toujours attaché à vous, malgré une si longue séparation. Que de choses nous avons vues, madame, et que de choses nous aurions à nous dire ! Nous rappellerions tout ce que le temps a fait évanouir, et un peu de philosophie adoucirait les maux présents.

Je ne connais guère de vos anciens amis que M. des Alleurs qui ait eu un bon lot, parce qu’il est chez les Turcs, chez qui je ne crois pas qu’il y ait tant d’infidélité et tant de malice noire et raffinée que chez les chrétiens.

Adieu, madame ; recevez avec vos premières hontes les assurances du respectueux et tendre attachement de votre ancien courtisan, qui désire passionnément l’honneur et la consolation de vous voir, et qui vous écrit, comme autrefois, sans cérémonie.


2639. — DE MADAME DENIS[1].
À Paris, le 25 août.

J’ai à peine la force de vous écrire, mon cher oncle ; je fais un effort que je ne peux faire que pour vous. L’indignation universelle, l’horreur, et la pitié que les atrocités de Francfort ont excitées ne me guérissent pas. Dieu veuille que mon ancienne prédiction que le roi de Prusse vous ferait mourir ne retombe que sur moi ! J’ai été saignée quatre fois en huit jours. La plupart des ministres étrangers ont envoyé savoir de mes nouvelles ; on dirait qu’ils veulent réparer la barbarie exercée à Francfort.

Il n’y a personne en France, je dis personne sans aucune exception, qui n’ait condamné cette violence mêlée de tant de ridicule et de cruauté. Elle donne des impressions plus grandes que vous ne croyez. Milord Maréchal[2] s’est tué de désavouer à Versailles, el dans toutes les maisons, tout ce qui s’est passé à Francfort. Il a assuré, de la part de son maître, qu’il n’y avait point de part. Mais voici ce que le sieur Fredersdorff m’écrit de Potsdam, le 12 de ce mois : « Je déclare que j’ai toujours honoré M. de Voltaire comme

  1. C’est la réponse à la lettre 2624.
  2. Ministre plénipotentiaire de Frédéric à Paris. (Cl.)