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2636. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Strasbourg[1], le 16 août.

Mon cher ange, j’ignore si Mme  Denis vous a donné un chiffon de lettre que je vous écrivis étant un peu attristé et très-malade. J’ai été en France depuis à petits pas, m’arrêtant partout où je trouvais bon gîte, et, surtout, chez l’électeur palatin[2]. Vous me direz que je dois être rassassié d’électeurs[3], mais celui-là est très-consolant.


Saepe premente deo, fert deus alter opem.

(Ovid., Trist., lib. I, oleg. ii, v. 4.)

Enfin, je m’en allais tout doucement à Plombières prendre les eaux, non par ordre du roi, mais par les ordonnances de Gervasi[4] qui est meilleur médecin que les plus grands rois ; je reste quelque temps à Strasbourg. Je vise à l’hydropisie. Je n’en avais pas l’air : mais vous savez qu’il n’y a rien de plus sec qu’un hydropique. Gervasi a jugé que des eaux n’étaient pas trop bonnes contre des eaux, et il m’a condamné aux cloportes. J’ai été plus d’une fois en ma vie condamné aux bêtes.

J’ai trouvé ici la fille de Monime[5], à qui vos bontés ont sauvé autrefois quelque bien. C’est une créature aujourd’hui bien à plaindre. J’ai peur même que le préteur, son père, qui n’était pas un préteur romain, ne lui ait fait perdre une partie de ce que vous lui aviez sauvé. J’ai cherché dans ses traits quelque ressemblance à votre ancienne amie, et je n’en ai point trouvé. Je ne m’intéresse pas moins à son triste sort.

L’abbé d’Aidie, qui a passé ici avec M. le cardinal de Soubise, m’est venu apparaître un moment. Vous le verrez probablement bientôt, et ce ne sera pas à Pontoise. Je me flatte bien que vous

  1. Voltaire, parti de Francfort avec Colini, le matin du 7 juillet, arriva à Strasbourg le 16 auguste suivant, après avoir passé par Mayence, Worms, Manheim, Schwetzingen, Rastadt, et Kehl. (Cl.)
  2. Charles-Théodore de Sultzbach.
  3. Frédéric II, roi de Prusse, était électeur de Brandehourg.
  4. Celui qui avait guéri Voltaire de la petite vérole ; en novembre 1723. En 1753, il était inspecteur des hôpitaux d’Alsace. (Cl.)
  5. Le nom de Monime désigne Mlle  Lecouvreur, qui avait débuté par ce rôle (voyez tome XXII, page 70) ; elle avait eu de M. de Klinglin, père de Mme  de Lutzelbourg et ancien préteur royal à Strasbourg, une fille, qui est connue sous le nom de Mlle  Daudet. (B.)