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Le 9 juin, Mme  Denis, nièce du sieur de Voltaire, fille d’un gentilhomme, et veuve d’un gentilhomme officier du roi de France, arrive à Francfort pour conduire aux eaux de Plombières son oncle, qui est mourant.

Le 17 juin, le ballot où est l’œuvre de poésie de Sa Majesté prussienne arrive au sieur Freytag.

Le 20, le sieur de Voltaire, en vertu des conventions, veut aller aux bains de Visbad, n’ayant pas la force de se transporter si loin que Plombières. Il laisse tous ses effets à Francfort, et sa nièce doit les faire emballer et le suivre.

On arrête alors le sieur de Voltaire ; on le mène chez le marchand Schmith. Ce marchand lui prend tout son argent dans ses poches, sans aucune formalité, s’empare d’une cassette pleine d’effets précieux, et de ses papiers de famille, et le fait conduire par douze soldats dans une gargote qui sert de prison. Il fait saisir le sieur Cosimo Colini, lui prend aussi son argent dans ses poches, et le fait emprisonner de même. Colini s’écrie qu’il est sujet de Sa Majesté impériale. Schmith répond qu’on ne connaît point l’empereur à Francfort, et Freytag, présent, dit au sieur de Voltaire et au sieur Cosimo que s’ils avaient osé mettre le pied sur les terres de Mayence pour se mettre en sûreté, il leur aurait fait tirer un coup de pistolet dans la tête sur les terres de Mayence.

Le même soir du 20 juin, un nommé Dorn, ci-devant notaire de Francfort, cassé par sentence de la ville, et qui n’a d’autre titre que celui de copiste de Freytag, va dans l’auberge du Lion-d’Or prendre la dame Denis avec des soldats, la conduit à pied, à travers toute la populace, la traîne évanouie dans un grenier de la prison où est enfermé son oncle, met quatre soldats à la porte de cette dame, lui ôte sa femme de chambre et ses laquais, se fait apporter à souper dans sa chambre et y passe seul la nuit, et a l’insolence de vouloir abuser d’elle ; elle crie, et Dorn fut intimidé.

Le 21 juin, les prisonniers font présenter requête au magistrat de Francfort ; le magistrat demande à Schmith le marchand de quel droit il traite ainsi des étrangers qui voyagent avec des passe-ports du roi de France.

Il répond que c’est au nom du roi de Prusse ; qu’à la vérité ils n’ont point d’ordre, mais qu’ils en recevront incessamment. C’est sur cette seule attente de ces ordres que Schmith fonde de telles violences, et il s’en rend caution sur tous ses biens comme bourgeois de Francfort, par un acte qui doit être au greffe de la ville, et dont le sieur de Voltaire a demandé en vain copie.