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pouvoir venir me jeter aux pieds de Mme  la duchesse du Maine, la remercier de ses bontés, et vous dire, mademoiselle, combien je suis pénétré des vôtres. Mais des souffrances continuelles m’arrachent à mes plaisirs et à mes devoirs. Je n’ai d’autres consolations que mes livres et un peu de travail, dans les moments de relâche que me donnent mes maux. Jugez, mademoiselle, si un homme condamné à ne vous point voir est malheureux ! Je suis sûr que Mme  la duchesse du Maine daignera plaindre un de ses sujets qui est exilé de son royaume. Où devrais-je passer ma vie, que dans la patrie du bon goût et du véritable esprit, aux pieds de la protectrice des arts ? J’ose vous conjurer, mademoiselle, de vouloir bien me protéger auprès d’elle : son estime est le but de tous mes travaux ; elle diminuera mes souffrances. Son Altesse sérénissime a vu bien des gens de lettres qui valaient infiniment mieux que moi ; mais jamais aucun d’eux n’a senti plus vivement son mérite, et n’a plus admiré la supériorité de ses lumières. Vous êtes faite, mademoiselle, pour lui faire oublier tout le monde ; mais je vous prie de daigner la faire souvenir de moi. Je viendrai assurément, au premier rayon de santé, vous assurer que je voudrais passer mes jours auprès de vous.

Je suis avec bien du respect, mademoiselle, etc.


2028. — À M. D’AIGUEBERRE,
conseiller au parlement de toulouse.
Paris, le 26 octobre.

Mon cher ami, c’était vous qui m’aviez fait renouveler connaissance, il y a plus de vingt ans, avec cette femme infortunée qui vient de mourir de la manière la plus funeste, et qui me laisse seul dans le monde. Je l’avais vue naître. Vous savez tout ce qui m’attachait à elle. Peu de gens connaissaient son extrême mérite, et on ne lui avait pas assez rendu justice ; car, mon cher ami, à qui la rend-on ? Il faut être mort pour que les hommes disent enfin de nous un peu de bien qui est très-inutile à notre cendre. Elle a laissé des monuments qui forceront l’envie et la frivolité maligne de notre nation à reconnaître en elle ce génie supérieur que l’on confondait avec le goût des pompons, et des diamants, et du cavagnole. Les bons esprits l’admireront ; mais tous ceux qui connaissent le prix de l’amitié doivent la regretter. Elle était surtout moins paresseuse que vous, mon cher d’Aiguë-