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moins quinze jours pour oublier cet ouvrage, et le revoir avec des yeux frais. Si Mme  d’Argental se porte bien, j’emploierai ce long espace de temps à achever l’esquisse d’Électre, avant d’achever de sauver Rome. Je vous demande en grâce de faire au président Hénault la galanterie de lui montrer le premier acte. Qu’importe que l’épée de Catilina soit mal placée sur une table ? ôtez-la de là. Et qu’importe une lettre dont on fera avec le temps un autre usage ? L’objet de ce premier acte est de donner une grande idée de Cicéron, et de peindre César. Voilà, entre nous, ce dont je me pique. Je suis sûr que le président Hénault en sera très-content.

Je veux qu’on sache que la pièce est faite, mais je veux que le public la désire, et je ne la donnerai que quand on me la demandera.

Je vous supplie de m’envoyer, par le moyen de M. de La Reynière, l’ouvrage du docteur Smith[1]. C’est un excellent homme que ce Smith. Nous n’avons en France rien à mettre à côté, et j’en suis fâché pour mes chers compatriotes.

Je vous embrasse tendrement, mon cher et respectable ami. Est-il bien vrai que les échevins vont devenir connaisseurs, et que la ville a l’Opéra ? Est-il bien vrai que la façade de Perrault, tant bernée par Boileau[2], sera découverte ? qu’on fait une belle place devers la Comédie ? Dites-moi, je vous prie, quel est l’architecte ?

On dit aussi qu’on doit loger le roi à Versailles, et lui ôter cet œil-de-bœuf. Comment le fastueux Louis XIV avait-il pu se loger si mal ? Voilà bien des choses à la fois. On n’en saurait trop faire ; la vie est courte. Si on employait bien son temps, on en ferait cent fois davantage.

Chers conjurés, mille tendres respects.


2011. — À M. L’ABBÉ DE VOISENON.
À Lunéville, le 4 septembre.

Mon cher abbé greluchon saura que Mme  du Châtelet étant cette nuit à son secrétaire, selon sa louable coutume, a dit : Mais je sens quelque chose ! Ce quelque chose était une petite fille qui est

  1. Robert Smith, né en 1689, mort en 1768, est auteur de Compleat System of Ofticks, 1728, traduit en français par le Père Pezenas sous le titre de Cours complet d’Optique, 1747, deux volumes in-4o.
  2. Art poétique, IV, 13 ; 1re des Réflexions sur Longin, et Lettre à M. d’Arnauld.