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2503. — À M. FORMEY.
Le 17 janvier.

Est-ce vous qui avez fait l’extrait des Lettres de Mme  de Maintenon ? Vous dites qu’il faudrait savoir par quelles mains ce dépôt a passé. M. le maréchal de Noailles, son neveu, avait ce dépôt ; son secrétaire le prêta à un écuyer du roi, et celui-ci au petit Racine. La Beaumelle le vola sur la cheminée de Racine, et s’enfuit à Copenhague ; c’est un fait public à Paris. La Beaumelle, de retour à Paris, devait être mis à la Bastille. Il a obtenu la protection de Mme  la duchesse de Lauraguais[1], dame d’atour de madame la dauphine. Cette princesse a sauvé le cachot à La Beaumelle, ne sachant pas que ce galant homme, dans l’édition de ses belles Pensées[2] faite à Francfort, a dit du roi de Pologne et de sa cour : « J’ai vu à Dresde un roi imbécile, un ministre fripon, un héritier qui a des enfants et qui ne saurait en faire, etc. »

    tables ouvrages, et être enseveli dans la terre de liberté. Je ne demande pas de souscription, je ne désire aucun bénéfice ; si mes ouvrages sont bien imprimés, et vendus à bon marché, je suis satisfait.


    Vous saurez, mon cher monsieur, qu’une discussion sur un point de mathématiques a excité une querelle scandaleuse entre M. Maupertuis, président de l’Académie de Berlin, et le professeur Kœnig. Tous les savants de l’Europe étaient pour Kœnig, et dans le monde il n’y avait qu’un cri contre les mauvais procédés de Maupertuis. Mais le roi de Prusse prit parti pour le président, et écrivit contre les partisans de Kœnig un pamphlet où Sa Majesté les traite de coquins, de vils et infâmes écrivains, d’imbéciles et de faussaires. En même temps Maupertuis publiait un singulier livre de philosophie.

    L’auteur propose de fonder une ville latine, de prolonger la vie humaine jusqu’à quatre cents ans en endormant les hommes, d’aller au pôle antarctique, et là, de disséquer les cervelles des géants afin de connaître la nature de l’âme, etc., etc. Le livre est plein de tels non-sens* ; mais l’auteur a eu le bon sens de me calomnier auprès du roi. Un jour, Sa Majesté, suivant sa volonté et son bon plaisir, ordonna, à son déjeuner, que son bourreau brûlât une petite facétie que j’avais écrite sur les magnifiques découvertes de Maupertuis.

    Le reste de l’histoire est raconté dans le petit papier que je vous envoie, et que je vous prie de faire insérer dans vos journaux**. . Si je vis et si je suis libre, je traverserai la mer pour vous remercier, mon cher ami. À vous pour toujours.

    P. S. Je vous prie de garder le secret sur ma lettre. *. Le mot anglais nonsense (niaiserie) n’est pas traduit exactement en français par non-sens ; cependant c’est probablement dans cette acception que Voltaire l’a employé ici, ou plutôt il a voulu jouer sur le mot. **. Vovez la note 2 de la lettre 2496.

  1. Diane-Adélaïde de Mailly-Nesle, née en 1714, mariée en janvier 1742 à Louis de Brancas, duc de Lauraguais. Elle avait été maîtresse de Louis XV comme la plupart de ses sœurs. (Cl.)
  2. Le livre intitulé Mes Pensées (Copenhague, 1751) est dédié à M. F., initiale qui désigne probablement Formey.