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et les distinctions dont vous m’avez honoré. Ma résignation est égale à ma douleur. Je ne me souviendrai que de ces mêmes bienfaits ; Votre Majesté doit en être bien convaincue. Attaché à elle depuis seize ans par ses bontés prévenantes ; appelé par elle dans ma vieillesse, rassuré par ses promesses sacrées contre la crainte attachée à une transplantation qui m’a tant coûté ; ayant eu l’honneur de vivre deux ans et demi de suite avec elle, il m’est impossible de démentir des sentiments qui l’ont emporté dans mon cœur sur ma patrie, sur le roi mon souverain et mon bienfaiteur, sur ma famille, sur mes amis, sur mes emplois. J’ai tout perdu : il ne me reste que le souvenir d’avoir passé un temps heureux dans votre retraite de Potsdam. Toute autre solitude sera pour moi bien douloureuse, sans doute. Il est dur d’ailleurs de partir dans cette saison quand on est accablé de maladies : mais il est encore plus dur de vous quitter. Croyez que c’est la seule douleur que je puisse sentir à présent. Monsieur l’envoyé de France, qui entre chez moi dans le temps que j’écris, est témoin de ma sensibilité, et il répondra à Votre Majesté des sentiments que je conserverai toujours. J’avais fait de vous mon idole ; un honnête homme ne change pas de religion, et seize ans d’un dévouement sans bornes ne peuvent être détruits par un moment de malheur.

Je me flatte que de tant de bontés il vous restera envers moi quelque humanité ; c’est ma seule consolation, si je puis en avoir une.


2494. — À M. LE CHEVALIER DE LA TOUCHE[1].
1er janvier.

J’ai l’honneur de vous confier, monsieur, la copie de la lettre que j’envoie au roi de Prusse et que j’ai minutée devant vous. Elle n’est pas d’un homme qui ait à se reprocher d’avoir jamais manqué personnellement à Sa Majesté. Elle ne peut me refuser la liberté de sortir de ses États. J’ose espérer même qu’après m’avoir arraché à ma patrie et à tout ce que j’avais de plus cher, après m’avoir demandé au roi par son ministre, après m’avoir donné des assurances si réitérées et si tendres de me rendre heureux, elle ne me laissera point partir sans quelques paroles de consolation. Elle doit cet adoucissement à mon état, et je l’attends de la générosité de son caractère ; et je me mets sous votre

  1. Éditeur, Th. Foisset.