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mation, où la terreur n’est pas fondée sur des aventures romanesques, où l’insipide galanterie ne déshonore point l’art des Sophocle et des Euripide. En voilà trop pour Rome ; je reviens à la France, à votre livre que vous avez la bonté de nous donner. Mme du Châtelet vous en fait les plus tendres remerciements. Vous pouvez l’envoyer à mon adresse à Lunéville, chez M. de La Reynière, qui est le grand-maître de mes postes, et le grand contresigneur de tous mes paquets ; si mieux n’aimez vous servir de M. d’Argenson. Tout comme il vous plaira, mais envoyez-nous nos amours.

Oh ! la paix n’est pas comme vous, monsieur : elle n’a pas l’approbation générale, et, si vous poussiez votre charmant Abrégé de la chronologie jusque-là, vous pourriez dire que Louis XV voulut faire le bonheur du monde, à quelque prix que ce fût, et qu’on ne fut pas content. Pour vous, monsieur, qui me paraissez un des plus heureux hommes de ce monde (en cas que vous digériez), je vous jure que vous méritez bien votre bonheur. Le mien serait de vous plaire. Mon petit Panégyrique[1] est d’un bon citoyen, et c’est déjà une grande avance pour être dans vos bonnes grâces ; je n’ai rien dit qui n’ait été dans mon cœur. Vous m’appelez le poëte de M. de Richelieu, j’ai bien envie d’être le vôtre ; mais je voudrais faire pour vous une épitre aussi bonne que celle[2] que Marmontel a faite pour moi, et cela est difficile.

Permettez-moi, en qualité de votre commis historiographe, de vous dire combien je suis affligé qu’un de nos héros, le prince Edouard, ait essuyé à Paris l’aventure de Charles XII à Bender[3]. Il est vrai qu’il n’a pas armé ses cuisiniers, mais il n’en avait point. Je suis un peu humilié que mes héros aillent aux petites-maisons. Pour M. de Richelieu, il n’ira qu’à celle des Porcherons ; celui-là est très-sage, car il est guédé de gloire et de plaisir, et je crois qu’à soixante ans il y aura encore des femmes à qui il fera donner des coup de pied dans le cul.

Souffrez que je vous prie de me protéger toujours auprès de Mme du Deffant. Elle ne sait pas le cas que je fais d’elle, et que j’ai dans la tête de lui faire ma cour très-assidument, quand je serai à Paris. Je trouve, comme dit Montaigne[4], que ses imaginations élancent les miennes ; et, quand mon feu s’éteindra, j’irai le rallumer au sien.

  1. Le Panégyrique de Louis XV, tome XXIII, page 263.
  2. Voyez tome XXIII, page 261.
  3. Voyez tome XV, pages 147 et 305-306.
  4. III, vii.