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sert de la même figure. Remarquez encore, s’il vous plait, que vous citez Épicure, Protagoras, etc., qui vivraient tranquilles dans la même ville ; je crois qu’il ne faudrait pas citer des gens de lettres pour vivre tranquilles ensemble. Remarquez que de querelles dans l’Académie des sciences de Paris pour Newton et Descartes, et dans celle d’ici pour et contre Leibnitz ! Je suis sûr qu’Épicure et Protagoras se seraient disputés s’ils avaient habité le même lieu ; mais je crois de même que Cicéron, Lucrèce et Horace, auraient soupé ensemble en bonne union. Je vous demande pardon des remarques que mon ignorance s’émancipe de vous faire. Je suis comme la servante de Molière, qui, lorsqu’elle ne riait pas, faisait changer ses pièces au premier auteur comique de l’univers.


2445. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
À Potsdam, ce 7 octobre.

Mon cher marquis, je souffre beaucoup aujourd’hui, et ma main me refuse encore le service. La tête ne laisse pas de travailler toujours, et mon cœur est plein pour vous de l’amitié la plus tendre. Vous savez que je n’ai point donné le Siècle de Louis XIV. L’édition de Berlin, sur laquelle malheureusement on en a fait tant d’autres, était trop incomplète et trop fautive. J’en ai envoyé seulement à Mme Denis quelques exemplaires corrigés à la main, pour être examinés par les fureteurs d’anecdotes, et pour servir à une nouvelle édition. Si j’étais à Paris, vous sentez bien que vous seriez le premier à qui je porterais mon tribut. Il sera bien difficile que je jouisse avant le commencement du printemps prochain du bonheur de revoir Mme Denis et mes amis. Je suis actuellement si malingre que, si j’arrivais à Paris dans cet état, on me demanderait mon billet de confession aux barrières ; et, comme les sous-fermiers ont traité de cette affaire, je courrais risque de me brouiller à la fois avec le clergé et la finance.

Je serai un peu consolé si je ne suis pas brouillé avec le parterre, si Grandval veut devenir Catilina à Fontainebleau et à Paris, et si on peut faire de Lekain un César. Je demande surtout qu’on ne change rien à la pièce que j’ai envoyée à Mme Denis. Qu’on la joue telle que je l’ai envoyée, et qu’on la joue bien. Il est fort triste de n’en être pas le témoin ; mais c’est un malheur qui disparaît devant celui d’être si loin des personnes auxquelles on est attaché. Je n’ai pu faire autrement. Vous autres Parisiens, vous êtes les Athéniens avec qui un peu d’ostracisme volontaire est quelquefois très-convenable ; et d’ailleurs qu’importe qu’un moribond végète dans un lieu ou dans un autre ? Cela est très--