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poésie est tellement sortie de ma tête, que je ne pourrais pas actuellement faire un pauvre vers alexandrin. Il faut laisser reposer la terre ; l’imagination gourmandée ne fait rien qui vaille ; les ouvrages de génie sont aux compilations ce que l’amour est au mariage :


L’Hymen vient quand on l’appelle,
L’Amour vient quand il lui plaît.

(Quinault, Atys, acte IV, scène v.)

Je compile à présent, et le dieu du génie est allé au diable.

En vous remerciant de la note sur l’abbé de Saint-Pierre ; j’avais deviné juste qu’il était mort en 43. Je lui ai fait un petit article assez plaisant. Il y en a un pour Valincour, qui ne sera pas inutile aux gens de lettres, et qui plaira à la famille. Je n’ai point de réponse de M. Secousse ; il est avec les vieilles et inutiles Ordonnances[1] de nos vieux rois ; mais il a, pour rassembler ces monuments d’inconstance et de barbarie, six mille livres de pension. Il n’y a qu’heur et malheur dans ce monde.

Mes anges, ce monde est un naufrage ; sauve qui peut ! est la devise de chaque individu. Je me suis sauvé à Potsdam, mais je voudrais bien que ma petite barque pût faire un petit trajet jusque chez vous. Je remets toujours de deux mois en deux mois à faire ce joli voyage. Il ne faut pas que je meure avant d’avoir eu cette consolation. Je ne sais pas trop ce que je deviendrai : j’ai cent ans ; tous mes sens s’affaiblissent, il y en a d’enterrés. Depuis huit mois je ne suis sorti de mon appartement que pour aller dans celui du roi ou dans le jardin. J’ai perdu mes dents, je meurs en détail. Je vous embrasse tendrement ; je vous souhaite une santé constante et une vieillesse heureuse. Je me regarderai comme très-malheureux si je ne passe pas mes derniers jours, ô anges ! auprès de vous et à l’ombre de vos ailes.


2441 — À M. LE COMTE D’ARGENSON.
À Potsdam, le 3 octobre.

Monsieur Le Bailli, mon camarade chez le roi, et non chez le roi de Prusse, vous remettra, monseigneur, le tribut que je vous dois.

  1. Secousse travaillait, depuis la mort de Laurière, au recueil des Ordonnances des rois de France, dont le dix-septième volume in-folio a paru en 1820.