Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde. Il serait à souhaiter que ces opinions se répandissent de plus en plus sur la terre. Mais combien d’hommes ne méritent pas d’être éclairés !

Je joins à ce paquet ce qu’on vient d’imprimer en Hollande. Votre Majesté sera peut-être bien aise de relire l’Éloge de La Mettrie[1]. Cet Éloge est plus philosophique que tout ce que ce fou de philosophe avait jamais écrit. Les grâces et la légèreté du style de cet Éloge y parent continuellement la raison. Il n’en est pas de même de la pesante lettre[2] de Haller, qui a la sottise de prendre sérieusement une plaisanterie. La réponse grave de Maupertuis n’était pas ce qu’il fallait. C’était bien le cas d’imiter Swift, qui persuadait à l’astrologue Partridge qu’il était mort. Persuader un vieux médecin qu’il avait fait des leçons au b… eût été une plaisanterie à faire mourir de rire.

Nous attendrons tranquillement Votre Majesté à Potsdam. Qu’irais-je faire à Berlin ? Ce n’est pas pour Berlin que je suis venu, quoique ce soit une fort belle ville ; c’est uniquement pour vous. Je souffre mes maux aussi gaiement que je peux. D’Argens s’amuse et engraisse, Arius de Prades est un très-aimable hérésiarque. Nous vivons ensemble en louant Dieu et Votre Majesté, et en sifflant la Sorbonne. Nous avons de beaux projets pour l’avancement de la raison humaine. Mais un plus beau projet, c’est Gustave Wasa. Il n’y a pas moyen d’y penser en Silésie, mais je me flatte qu’à Potsdam vous ne résisterez pas à la grâce efficace qui vous a inspiré ce bon mouvement. Ce sujet est admirable, et digne de votre génie unique et universel. Je me mets à vos pieds.


2427. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Potsdam, le 8 septembre.

Mon cher ange, le premier tome du Siècle et le tiers du second sont déjà faits ; cependant vous croyez bien que je ferai l’impos-

  1. Par le roi de Prusse.
  2. La Mettrie avait, en 1748, dédié son Homme machine à Haller comme à son compagnon, son maître, son ami. Haller regarda cette dédicace comme un affront, désavoua les principes du livre, et déclara n’avoir jamais eu de liaison ni d’amitié pour La Mettrie. Celui-ci publia, peu avant sa mort, une brochure intitulée le Petit Homme, où il raconte, entre autres choses, avoir fait, en 1751, plusieurs soupers de fille avec M. Haller, qui y était fort aimable. Pour avoir réparation, Haller écrivit à Maupertuis, président de l’Académie de Berlin, de laquelle étaient aussi Haller et La Mettrie. La lettre de Haller arriva à Berlin le jour même de la mort de La Mettrie, que Maupertuis défendit comme il put dans sa réponse à Haller. (B.)