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rait déféré au procureur général pour avoir dit que le parlement fit force sottises du temps de la Fronde. Hué et persécuté, je serais tombé malade, et on m’aurait demandé un billet de confession. J’ai pris le parti de renoncer à tous ces désagréments, de me contenter des bontés d’un grand roi, de la société d’un grand homme, et de la plus grande liberté dont on puisse jouir dans la plus belle retraite du monde. Pendant ce temps-là, j’ai donné le loisir à ceux qui me persécutaient à Paris de consumer leur mauvaise volonté, devenue impuissante. Il y a des temps où il faut se soustraire à la multitude. Paris est fort bon pour un homme comme vous, monsieur, qui porte un grand nom, et qui le soutient ; mais il faut qu’un pauvre diable d’homme de lettres, qui a le malheur d’avoir de la réputation, succombe ou s’enfuie.

Si jamais ma mauvaise santé, qui me rendra bientôt inutile au roi de Prusse, me forçait de revenir m’établir en France, j’aimerais bien mieux y jouer le rôle d’un malade ignoré que d’un homme de lettres connu. Vos bontés et celles de vos amis y feraient ma principale consolation. Je me flatte que votre santé est rétablie. Pour moi, je suis devenu bien vieux ; mon imagination et moi, nous sommes décrépits. Il n’en est pas ainsi du sentiment : celui qui m’attache à vous et à vos amis n’a rien perdu de sa force, il est aussi vif qu’inviolable.

J’envoie une nouvelle fournée de Rome sauvée. Je ne sais si, à la reprise, la gravité romaine plaira à la galanterie parisienne.

Mille tendres respects.


2425. — À M. D’ALEMBERT.
À Potsdam, le 5 septembre.

Vraiment, monsieur, c’est à vous à dire :


Je rendrai grâce au ciel, et resterai dans Rome.

(Rome sauvée, acte V, scène iii.)

Quand je parle de rendre grâce au ciel, ce n’est pas du bien qu’on vous a fait dans votre patrie, mais de celui que vous lui faites. Vous et M. Diderot vous faites un ouvrage qui sera la gloire de la France et l’opprobre de ceux qui vous ont persécutés. Paris abonde de barbouilleurs de papier ; mais de philosophes éloquents, je ne connais que vous et lui. Il est vrai qu’un tel ouvrage devait être fait loin des sots et des fanatiques, sous les yeux d’un roi aussi philosophe que vous ; mais les secours manquent ici