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qui, entouré de maîtresses, avait mis le Palatinat en cendres, et désolé la Hollande, plutôt par fierté que par intérêt.

Je vous parle avec la liberté d’un historien, d’un homme instruit de la manière de penser des étrangers, et en même temps d’un homme docile, qui a une extrême confiance en vos bontés et dans vos lumières, pénétré de respect pour les unes, et de reconnaissance pour les autres.

Si vous aviez, monseigneur, quelques morceaux détachés, dans le goût de celui où Louis XIV rend compte du caractère de M. de Pomponne, rien ne jetterait un jour plus lumineux sur l’histoire intéressante de ce temps-là. Il est à croire que ce monarque aura aussi bien reconnu l’incapacité de M. de Chamillart que les faiblesses de M. de Pomponne, qui était d’ailleurs un homme de beaucoup d’esprit. J’ai vu des dépêches de M. de Chamillart qui, en vérité, étaient le comble du ridicule, et qui seraient capables de déshonorer absolument le ministère, depuis 1701 jusqu’en 1709. J’ai eu la discrétion de n’en faire aucun usage, plus occupé de ce qui peut être glorieux et utile à ma nation que de dire des vérités désagréables.

Cicéron a beau enseigner qu’un historien doit[1] dire tout ce qui est vrai, je ne pense point ainsi. Tout ce qu’on rapporte doit être vrai, sans doute ; mais je crois qu’on doit supprimer beaucoup de détails inutiles et odieux. J’ai la hardiesse de combattre les opinions de Cicéron, mais je ne combattrai point les vôtres.

Si j’ai quelques lettres originales à rapporter, dans l’Histoire de la guerre de 1741, ce sera assurément celles que vous écrivîtes au roi, le 8 juillet 1743, après votre entrevue avec l’empereur. Je la regarde comme un chef-d’œuvre d’éloquence, de raison supérieure, de courage d’esprit, et de politique ; et je crois que cela seul suffirait pour vous faire regarder comme un grand homme, si on ne connaissait pas vos autres mérites.

Permettez-moi de vous dire que personne au monde n’est plus attaché à votre gloire que moi. Toute mon ambition serait d’avoir l’honneur de m’entretenir avec vous quelques heures ; et, si je pouvais compter sur cet avantage, je vous promets que je ferais exprès le voyage de Paris, dans quelques mois. Je ne suis allé en Prusse que pour y entendre un homme dont la conversation est aussi singulière que ses actions sont héroïques, et j’irais chercher à Saint-Germain un homme aussi respectable que lui.

J’ai l’honneur d’être avec le plus profond respect, etc.

  1. Voyez, tome XIX, page 362.