Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce commencement doit vous encourager sans doute, monseigneur, à me secourir et à m’éclairer autant que vous le pourrez. Vous êtes le seul homme en France qui soyez en état de me donner des lumières, et mon travail, les matériaux que j’ai assemblés depuis si longtemps, la nature et le succès de cet ouvrage, me rendent à présent le seul homme capable de recevoir avec fruit ces bontés dont je vous demande instamment la continuation. Vous ne pouvez employer plus dignement votre loisir qu’en dictant des vérités utiles. Je vous garderai religieusement le secret.

Mon dessein est d’insérer dans le chapitre de la vie privée de Louis XIV tout le morceau détaché où ce monarque se rend compte à lui-même de sa conduite[1]. Cet écrit me paraît un des plus beaux monuments de sa gloire ; il est bien pensé, bien fait, et montre un esprit juste et une grande âme. Je vous avoue que je serais d’avis de ne donner au public qu’une partie des instructions de Louis XIV au roi d’Espagne[2]. Je voudrais que le public ne vît que les conseils vraiment politiques, dignes d’un roi de France et d’un roi d’Espagne, et la situation critique où ils étaient l’un et l’autre.

J’ose prendre la liberté de vous dire, en me soumettant à votre jugement, que le commencement de ce mémoire n’est rempli que de conseils vagues et de maximes d’un grand-père plutôt que d’un grand roi.

« Déclarez-vous en toute occasion pour la vertu et contre le vice. — Aimez votre femme ; vivez bien avec elle ; demandez-en une à Dieu qui vous convienne, etc. »

Il y a beaucoup de lieux communs dans ce goût. Je vous avouerai même ingénument que je n’oserais pas les lire au roi de Prusse, dont je regarde l’estime pour tout ce qui peut contribuer à la gloire de notre nation comme le suffrage le plus précieux et le plus important.

Le conseil d’aller à la chasse, et d’avoir une maison de campagne, paraîtrait petit et déplacé. Je dois songer que c’est à l’Europe que je parle, et à l’Europe prévenue. L’esprit philosophique qui règne aujourd’hui remarquerait peut-être un trop étrange contraste entre le conseil d’honorer Dieu, de ne manquer à aucun de ses devoirs envers Dieu, d’aimer sa femme, d’en demander une à Dieu qui convienne, etc., et la conduite d’un prince

  1. Voyez tome XIV, page 484.
  2. Voyez tome XIV, page 487.