Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1988. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Lunéville, ce 28 juillet[1].

Sire, Votre Majesté m’a ramené à la poésie. Il n’y a pas moyen d’abandonner un art que vous cultivez. Permettez que j’envoie à Votre Majesté une Épître[2] un peu longue que j’ai faite, avant mon départ de Paris, pour une de mes nièces, qui est aussi possédée du démon de la poésie. Vous y verrez, sire, la vie de Paris peinte assez au naturel. Celle qu’on mène à Potsdam, auprès de Votre Majesté, est un peu différente, et j’attends vos ordres pour jouir encore de l’honneur que vous daignez me faire. Sain ou malade, il n’importe ; je vous ai promis que je partirais dès que Mme  du Châtelet serait relevée de couche ; ce sera probablement pour le milieu de septembre, ou, au plus tard, pour la fin. Ainsi je ferai bientôt, pour voir mon Auguste, un voyage un peu plus long que Virgile n’en faisait pour voir le sien. J’apporterai à vos pieds tout ce que j’ai fait, et vous daignerez me faire part de vos ouvrages. Après cela, je mourrai content, et je pourrai bien me faire enterrer dans votre église catholique. Un Anglais fit mettre sur son tombeau : Ci-gît l’ami du chevalier Sidney[3]. Je ferai mettre sur le mien : Ci-gît l’admirateur de Frédéric le Grand.

Il n’y a pas longtemps qu’un prince, en lisant une nouvelle édition qu’on vient de faire de votre Anti-Machiavel, fut fâché de ce que vous y dites de Charles XII. « Il a beau faire, dit-il en colère, il ne l’effacera pas. » On lui répondit : « Charles XII a été le premier des grenadiers, et le roi de Prusse est le premier des rois. »

Croyez, sire, que mon enthousiasme pour vous a toujours été le même, et que si vous étiez roi des Indes je ferais le voyage de Lahore et de Delhi, Croyez que rien n’égale le profond respect et l’éternel attachement de V,


1989. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL,
à paris.
À Lunéville, le 29 juillet.

Anges, voici le cas de déployer vos ailes. M. de La Reynière doit vous envoyer une tragédie[4] ; ce n’est pas lui pourtant qui en

  1. La lettre 1994 est la réponse à celle-ci.
  2. Voyez, tome X, l’épître à Mme  Denis sur la Vie de Paris et la Vie de Versailles.
  3. Voyez tome XXXIV, page 503.
  4. Amélie, ou le Duc de Foix.