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droit public à la Haye. Ce Kœnig est un homme de mérite, un brave Suisse, qui est très-incapable d’être faussaire. J’ai vécu pendant près de deux ans avec lui, chez feu Mme  la marquise du Châtelet, qu’il initia aux mystères de la secte leibnitzienne. Il ne sera pas homme à souffrir un pareil affront.

Je ne suis pas encore bien informé des détails de ce commencement de guerre. Je ne sors point de Potsdam, Maupertuis est à Berlin, malade, pour avoir bu un peu trop d’eau-de-vie, que les gens de son pays ne haïssent pas. Il me porte cependant tous les coups fourrés qu’il peut, et j’ai peur qu’il ne me fasse plus de tort qu’à Kœnig. Un faux rapport, un mot jeté à propos, qui circule, qui va à l’oreille du roi, et qui reste dans son cœur, est une arme contre laquelle il n’y a souvent point de bouclier. D’Argens n’avait pas si mal fait d’aller au bord de la Méditerranée ; je ferai encore bien mieux d’aller au bord de la Seine.


2378. — À M. DARGET.
À Berlin, 23 mai.

Mon cher Darget, je respecte les médecins, je révère la médecine, en qualité de vieux malade ; mais je ne suis pas peu surpris que vos Esculapes prennent pour du scorbut des maux de vessie. Cette vessie n’a pas plus de rapport avec le scorbut qu’avec la goutte. Chaque maladie a son département. La migraine attaque la tête ; la goutte, les pieds et les mains ; la V… s’adresse à la lymphe, et ensuite aux os ; le scorbut gonfle les gencives, déboîte les articles, fait tomber les dents ; j’en parle par une funeste expérience, moi qui ai perdu toutes les miennes par cette peste cruelle. Dieu vous préserve, mon cher ami, des atteintes d’un mal si affreux ! Croyez que vos belles dents sont un excellent témoignage contre le sentiment de M. Mallouin. Heureux les malades qui vont de Plaisance à Bellevue, et qui entendent les sirènes de ce beau rivage ! Je vois bien que vous ne reviendrez pas sitôt dans notre couvent. Vous y trouverez le jardin du comte de Rottembourg vendu à Mme  Daun, la belle maison de d’Argens à M. Ekel, deux belles pièces de gazon dans la cour du château. Voilà ce qui s’appelle de grandes nouvelles ; voilà les révolutions de Potsdam.

La douceur uniforme de notre vie n’a pas de plus grands objets à vous présenter. J’ai trouvé mon maître aux échecs dans le marquis de Varenne ; mon maître en éloquence abondante dans le marquis d’Argens, et mon maître en tout dans le roi.