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éclaircissement. Je vous jure que jamais La Mettrie ne m’avait dit que vous m’eussiez attaqué dans votre Bibliothèque impartiale : il m’avait dit seulement, en général, que vous aviez dit beaucoup de mal de moi ; à quoi j’avais répondu que vous ne me connaissiez pas, et que, quand vous me connaîtriez, vous n’en diriez plus. Dieu veuille avoir son âme ! Je vous avouerai encore, pour le repos de la mienne, que la conversation étant tombée, ces jours-ci, sur l’amitié dont les gens de lettres doivent donner l’exemple, je me vantai d’avoir la vôtre ; et pour rabaisser mon caquet, on me montra l’extrait d’un passage de votre Bibliothèque impartiale, où il était dit peu impartialement que je n’étais qu’un plagiaire, et que j’avais volé le Clovis de Saint-Didier, c’est-à-dire volé sur l’autel, et volé les pauvres, ce qui est le plus grand des péchés. Apparemment qu’on avait avec charité enflé ce passage. Je fus un peu confondu, et je me contentai de prouver que le grand Saint-Didier n’a écrit qu’après moi, et qu’ainsi, s’il y a un gueux de volé, c’était moi-même.

Je poursuis ma confession en vous disant qu’ayant été honnêtement raillé sur la vanité que j’avais de compter sur vos bonnes grâces, recevant dans le même temps une lettre de vous, avec l’annonce de la Nécessité de plaire[1] de Moncrif, je ne pus m’empêcher de vous glisser un petit mot sur le malheur que j’avais de vous avoir déplu. J’ai surtout, en qualité d’historien, insisté sur la chronologie du Clovis de Saint-Didier : voilà à quoi se réduit cette bagatelle. Il est bon de s’entendre ; c’est principalement faute de s’éclaircir qu’il y a tant de querelles ; je vous jure, avec la même sincérité, que je n’ai pas le moindre levain dans le cœur sur tout cela, et que j’aurais honte de moi-même si j’étais ulcéré, encore plus si j’avais la moindre pensée de vous nuire : car soyez très-sûr que je vous pardonne, que je vous estime et que je vous aime.

Les pirates qui ont imprimé la plaisanterie du Micromégas[2], avec l’histoire très-sérieuse depuis Charlemagne, auraient bien dû me consulter : ils n’auraient pas imprimé des fragments tronques dont on a retranché tout ce qui regarde les papes et les moines. Voilà ce que j’ai sur le cœur.

Natales grate numeras ; ignoscis amicis[3].


V.
  1. Essai sur la Nécessité et sur les Moyens de plaire.
  2. Voyez tome XI, page 435, et tome XXIV, page 32.
  3. Horace, livre II, épitre ii, 210.