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sentiments ; comme toutes les charges de votre maison sont remplies, il demanderait un titre de chevalier d’honneur : c’est une charge que je ne crois guère connue qu’en France, et qui répond à celle de premier ou grand écuyer ; mais ce n’est qu’un simple titre, il ne s’agit seulement que de n’avoir pas l’air d’être un homme inutile. Je me souviens que Votre Altesse royale avait compté lui donner quinze cents écus d’appointements. Voilà l’état où est cette petite affaire. J’ai répondu au marquis d’Adhémar que j’attendais vos ordres, et je n’ai engagé Votre Altesse royale à rien. Je lui ferai part, madame, de vos dernières résolutions, et des commandements dont il vous plaira de m’honorer. Tout ce que je sais, c’est que je voudrais bien grossir quelque temps avec lui le nombre de vos courtisans. Mais frère Voltaire ne sait encore quand il mettra le nez hors de sa cellule. Il est le meilleur moine du monde, et s’accoutume trop à la vie solitaire. Je pourrais bien, après le mariage de monseigneur le prince Henri, prendre mon essor et venir vous faire ma cour. Mais je ne réponds de rien, et je me résigne entièrement à la Providence. Je me flatte que votre santé, madame, n’essuie plus de ces orages qui nous ont tant alarmés, et qu’ainsi aucune amertume ne se mêle à la douceur de votre vie. Permettez-moi de renouveler pour jamais à Votre Altesse royale et à monseigneur le margrave mes plus profonds respects et mon inviolable attachement. Si j’osais, je mettrais ici quelque chose pour M. de Montperny ; mais comment prendre la liberté ?


Voltaire.

2363. — À M. BAGIEU[1].
À Potsdam, le 10 avril.

Si jamais quelque chose, monsieur, m’a sensiblement touché, c’est la lettre par laquelle vous m’avez bien voulu prévenir ; c’est l’intérêt que vous prenez à un état qui semblait devoir n’être pas parvenu jusqu’à vous ; c’est le secours que vous m’offrez avec tant de bienveillance. Rien ne me rend la vie plus chère, et ne redouble plus mon envie de faire un voyage à Paris, que l’espérance d’y trouver des âmes aussi compatissantes que la vôtre, et des hommes si dignes de leur profession, et, en même temps, si

  1. Jacques Bagieu, chirurgien-major des gendarmes de la garde du roi, et membre de l’Académie de chirurgie. Il est auteur de quelques ouvrages concernant sa profession. Mort vers 1775. (Cl.)