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2359. — À M. DE CIDEVILLE.
Potsdam, le 3 avril.

En vous remerciant, mon cher et ancien ami ; l’annonce de ce libraire de Hollande est l’affiche d’un charlatan. Tous les libraires de l’Europe se disputent l’impression de ce Siècle ; pour comble d’embarras, on s’empresse de le traduire avant que je l’aie corrigé. Je laisse faire, et je m’occupe jour et nuit à préparer une édition plus ample et plus correcte. Une première édition n’est jamais qu’un essai. Ni le Siècle ni Rome sauvée ne sont ce qu’ils seront. Je demande seulement de la santé au ciel, comme Ajax demandait du jour[1].

Mais je suis plus inquiet de la santé de ma nièce que de la mienne. Je suis accoutumé à mes maux, et je ne peux m’accoutumer aux siens. Il est très-sûr que je ferai un voyage pour elle et pour mes amis. J’ai deux âmes, l’une est à Paris, l’autre auprès du roi de Prusse ; mais aussi je n’ai point de corps.

Je vous embrasse, je vous remercie, je retourne vite à Louis XIV. Je veux me dépêcher pour vous retrouver et vous embrasser à Paris. V.


2360. — À M. DE LA CONDAMINE.
À Potsdam, le 3 avril.

Grand merci, cher La Condamine,
Du beau présent de l’équateur[2],
Et de votre lettre badine
Jointe à la profonde doctrine
De votre esprit calculateur.
Eh bien ! vous avez vu l’Afrique,
Constantinople, l’Amérique ;
Tous vos pas ont été perdus.
Voulez-vous faire enfin fortune ?
Hélas ! il ne vous reste plus
Qu’à faire un voyage à la lune.
On dit qu’on trouve en son pourpris
Ce qu’on perd aux lieux où nous sommes ;
Les services rendus aux hommes,
Et le bien fait à son pays.

  1. Iliade, chant XVII, v. 645.
  2. En 1751 La Condamine publia son Journal du voyage fait par ordre du roi à l’équateur ; le Supplément qu’il y joignit parut en 1752.