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sot pour aimer mieux être un courtisan qu’un grand homme. Imitons Corneille, qui travailla toujours, et tâchons de faire de meilleurs ouvrages que ceux de sa vieillesse. Adélaïde, ou le Duc de Foix, ou les Frères ennemis[1], comme vous voudrez l’appeler, est un ouvrage plus théâtral que Rome sauvée. Le rôle de Lisois est peut-être encore plus théâtral que celui de César. J’ai travaillé cette pièce avec soin, j’y retouche encore tous les jours ; mais ce sera là qu’il faudra une conspiration bien secrète. Le public n’aime pas à applaudir deux fois de suite au même homme. Je ne veux pas donner cette pièce sous mon nom. Je sais trop que le public donne des soufflets après avoir donné des lauriers. Défions-nous de l’hydre à mille têtes.

Je suis bien loin, mon cher ange, de songer à faire imprimer sitôt la Guerre de 1741 ; mais je suis bien aise de ne perdre ni mon temps, ni ce travail, que j’avais presque achevé sur les mémoires du cabinet, ni le gré qu’on pourrait me savoir de faire valoir ma nation sans flatterie. J’avais demandé à ma nièce un plan de la bataille de Fontenoy, que j’ai laissé à Paris dans mes papiers, afin de mettre tout en ordre, et que cet ouvrage pût paraître dans l’occasion, ou pendant ma vie, ou après ma mort. Il m’a paru d’ailleurs assez nécessaire qu’on sût que j’avais rempli ce qui était autrefois du devoir de ma place, et, ce qui est toujours du devoir de mon cœur, de tâcher d’élever quelques petits monuments à la gloire de ma patrie. Je me hâte de travailler, de corriger, mais je ne me hâte point d’imprimer. Je voudrais que le Siècle de Louis XIV n’eût point encore vu le jour ; et tout ce que je demande, c’est que l’édition imparfaite et fautive de Berlin n’entre point dans Paris. J’ai beaucoup réformé cet ouvrage ; le Catalogue des écrivains est fort augmenté. Mais voyez comme les sentiments sont différents ! ce Catalogue est ce que le président Hénault aime le mieux.

Je vous supplie de faire les plus tendres remerciements pour moi à M. le président de Meinières[2] et à M. de Foncemagne. Ce dernier me permettra de lui représenter, avec la déférence que je dois à ses lumières, et la reconnaissance que je dois à ses soins obligeants, que le Siècle de Louis XIV est un espace de plus de cent années, commençant au cardinal de Richelieu ; que, si je retranchais les écrivains qui ont commencé à fleurir sous Louis XIII, il faudrait retrancher Corneille ; que les écrivains font hon-

  1. Voyez ces trois pièces, tome III.
  2. J.-B.-Fr. Durcy de Meinières.