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ront le temps de travailler à ce que vous savez[1]. Cette complication et ce fracas de tant d’intérêts divers, de tant de desseins avortés, de tant de calamités et de succès ; ce gros nuage et cette tempête qui ont grondé huit ans sur l’Europe ; tout cela est au moins aussi difficile à éclaircir et à rendre intéressant qu’une scène de tragédie. Je m’occupe uniquement de la gloire de Louis XV, après avoir mis Louis XIV dans son cadre. Il me paraît que je mériterais assez une charge de trompette des rois de France. J’ai sonné à m’époumonner pour Henri IV, Louis XIV, et Louis XV, et je n’en ai qu’une fluxion de poitrine sur les bords de la Sprée. Il est assez plaisant que je fasse mon métier d’historiographe avec tant de constance, quand je n’ai plus l’honneur de l’être. Je me suis déjà comparé aux prêtres jansénistes qui ne disent volontiers la messe que quand ils sont interdits.

J’ai été tout étonné du reproche que vous me faites d’avoir oublié les pilules pour Mme  la maréchale de Villars ; vous ne m’avez jamais parlé de pilules, que je sache. Je n’oublierai pas plus madame la maréchale, quand il s’agit de sa santé, que je n’ai oublié son mari, lorsqu’il s’est agi de la gloire de la France, dans le Siècle de Louis XIV.

Je viens d’envoyer chez l’apothicaire du roi, qui m’a donné les cent dernières pilules faites par Stahl lui-même, et je les envoie à ma nièce par un secrétaire[2] de Sa Majesté, qui part pour Paris. Si madame la maréchale en veut davantage, j’en ai laissé chez moi une boîte que le roi de Prusse m’avait envoyée il y a trois ans. Ma nièce la trouvera aisément dans mon appartement, et on peut y prendre de quoi purger toute la rue de Grenelle ; mais je vous avertis que ces pilules ne sont pas meilleures que celles de Geoffroi[3]. Elles ont d’ailleurs peu de réputation à la cour où je suis. Vous voyez, monsieur, par ce grand exemple de Stahl[4] et par le mien que personne n’est prophète dans son pays[5]. Pour moi, ne pouvant être prophète, je me suis réduit à être simple historien. Je vous supplie de présenter mes respects à madame la maréchale et à M. le duc de Villars, Je n’oublierai jamais leurs bontés. Vous ne doutez pas de l’envie

  1. Amélie, ou le Duc de Foix.
  2. Darget.
  3. Geoffroi (Matthieu-François), apothicaire, père du médecin Étienne-François et du naturaliste Claude-Joseph.
  4. Stahl (George-Ernest), né en 1660, mort en 1734.
  5. Luc. iv, 24.