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des eaux chaudes et des bains. Je ne veux pas perdre le fond de la boîte de Pandore ; mais l’hiver est bien rude, et sera bien long. Je doute que Rome sauvée me sauve. Je mettrai dans ma confession générale, in articulo mortis, que j’ai affligé Mlle  Gaussin ; je m’en accuse très-sérieusement devant les anges. C’est une vraie peine pour moi de lui en faire ; ce n’est pas à moi de poignarder Zaïre. Je vous assure que, si j’étais en sa présence, je n’y tiendrais pas ; mais, mon cher et respectable ami, pourquoi m’a-t-on forcé de changer le rôle tendre que j’avais fait pour elle ? Je suis aussi docile que des Crébillons sont opiniâtres. J’ai sacrifié mes idées, mon goût aux sentiments des autres. Je voulais un contraste de douceur, de naïveté, d’innocence, avec la férocité de Catilina. Il y a assez de Romains dans cette pièce ; je ne voulais pas d’un Caton en cornettes, on m’y a forcé, et M. le maréchal de Richelieu a été las, pour la première fois, des femmes tendres et complaisantes. J’aimais que la femme de Catilina se bornât à aimer, qu’elle dit :


J’ai vécu pour vous seul, et ne suis point entrée
Dans ces divisions dont Rome est déchirée[1].


Il me semble que sa mort eût été plus touchante. On ne plaint guère une grosse diablesse d’héroïne qui menace, qui dit je menace, qui est fière, qui se mêle d’affaires, qui fait la républicaine. Il est clair que ce gros rôle d’amazone n’est pas fait pour les grâces attendrissantes de Mlle  Gaussin. Je l’aurais déparée : ce serait donner des bottes et des éperons à Vénus. Je vous prie de lui montrer cet article de ma lettre.

À l’égard du Siècle, on me fait des chicanes révoltantes, et vous me faites des remarques judicieuses. J’ai réformé tout ce que vous avez repris. Je crois qu’en ôtant l’épithète de petit au concile d’Embrun, l’article peut passer. Je n’en dis ni bien ni mal, et cela est fort honnête. Voilà l’effet du népotisme[2]. Je remercie Mme  d’Argental de ses anedoctes, et surtout des deux filles d’honneur et de joie ; mais elle parle de l’établissement que le grand Duquêne (dont je vous fais mon compliment d’être l’allié) voulut faire en Amérique, et il s’agit d’une colonie établie par son neveu en Afrique, près du cap de Bonne-Espérance, après la mort de l’oncle, et deux ans après la révocation de l’édit de Nantes.

  1. Voyez tome V, page 286.
  2. M. d’Argental est neveu du cardinal de Tencin, qui avait présidé, en 1727, l’odieux et ridicule concile d’Embrun. (K.) — Voyez tome V, page 60.