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England. So, I have to fight with, or against the sea and earth and hell, for booksellers are the hell of writers.

Be what it will, receive, my dear sir, my cargo of printed sheets, when wind and tide will permit. Do what you please with them ; I am resigned. I had rather be read, than be sold : truth it above trade, and reputation above money !

I am sorry to see that England seems to be sunk into romances. I hope nor you nor your lady care much for them. Yet, there are some written in a lively manner. Nothing is more pleasing in that way, than the humorous performances of our Hamilton, born in France, but of a Scotch family.

We have many voyages useful and entertaining, such as those of Chardin, Bernier, La Loubère, etc. As to miscellaneous works, some may be read with much pleasure and improvement, such as le Ménagiana de La Monnoye, La Rochefoucauld, Pascal, La Bruyère, Saint-Réal, Saint-Évremond, etc., may afford your lady very agréable reading.

Farewell, my dear worthy friend. You are one of the most amiable souls that any age has ever produced ; and I am for ever yours, with the most tender gratitude[1]. V.

  1. Traduction : Cher monsieur, mon Louis XIV est sur l’Elbe depuis près d’un mois. Je ne sais pas si le grand roi s’est déjà mis en mer pour envahir la Grande-Bretagne. Mais les libraires sont plus grands politiques que Louis : il est, je crois, très-vraisemblable qu’ils ont pris les devants sur moi, en emportant mon livre à Londres par la voie de Rotterdam, pendant que mon ballot de contes imprimés est sur l’Elbe ; et de cette façon ils recueilleront tout le bénéfice de mes travaux, suivant la noble coutume de ce monde.

    Mon livre est défendu chez mes chers compatriotes, parce que j’ai dit la vérité ; les délais des chargements et l’obstacle des vents l’empêchent de poursuivre son voyage en Angleterre. Ainsi j’ai à combattre à la fois contre la mer, la terre et l’enfer : car les libraires sont l’enfer des écrivains.

    Qu’il en soit ce qu’il pourra, recevez, mon cher monsieur, ma cargaison de chiffons imprimés, quand le vent et la marée le permettront. Faites-en ce qu’il vous plaira ; je suis résigné à tout. J’aimerais mieux être lu que vendu. La vérité est au-dessus du commerce, et l’honneur au-dessus de l’argent.

    Je suis fâché de voir que l’Angleterre semble plongée dans les romans. J’espère que ni vous ni milady, vous ne vous en souciez pas. Cependant il y en a qui sont écrits avec une grande vivacité de style. Rien n’est plus agréable en ce genre que les ouvrages si gais de notre Hamilton, né en France, mais d’une famille écossaise.

    Nous avons plusieurs voyages utiles et intéressants, comme ceux de Chardin, de Bernier, de La Loubère, etc. Quant aux ouvrages de mélanges, quelques-uns peuvent se lire avec beaucoup de plaisir et de fruit, tels que le Ménagiana de La Monnoye, La Rochefoucauld, Pascal, La Bruyère, Saint-Réal, Saint-Évremond, etc., qui procureront à milady une lecture très-agréable.

    Adieu, mon cher et digne ami ; vous êtes le cœur le plus aimable qu’aucun siècle ait jamais produit, et je suis à vous pour toujours avec la plus tendre reconnaissance.