Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donna au docteur Houl, professeur à Francfort-sur-l’oder, toutes les feuilles imprimées ; Houl en a fait la traduction. Dès ce temps-là, un libraire de Breslau, nommé Korn, ami de Henning, fit mettre dans les gazettes allemandes qu’on devait s’adresser à lui pour avoir mon livre en français et en allemand. Ainsi on me perçait mon tonneau des deux côtés.

Houl est arrivé à Berlin ; Henning, intimidé, prétend que ce docteur lui remit hier l’exemplaire et la traduction. Mais, si cela est, il faut que Henning me rende en mains propres cet exemplaire et cette traduction, avec un certificat par lequel il doit se rendre garant de l’événement ; il faut aussi qu’il fasse ses diligences pour arrêter la vente de l’édition de Korn, auquel il a vendu le même livre.

Il pleure à présent chez Francheville ; il dit que c’est un de ses garçons qui a fait toute cette manœuvre, et qu’il faut que je le fasse arrêter. Il ne sait pas que je suis instruit de tout. Voilà un vrai tour de dévot. Croyez qu’il peut avoir usé de la même perfidie pour les ouvrages du roi. Mais pour moi, je me garderai bien de m’adresser à la justice, dans un pays dont je n’entends point la langue, et où l’on opprime les étrangers. Le roi fera ce qu’il voudra. Je suis las de l’injustice des hommes.

Bonjour, mon cher ami.


2277. — À MADAME DENIS.
À Berlin, le 2 septembre.

J’ai encore le temps, ma chère enfant, de vous envoyer un nouveau paquet. Vous y trouverez une lettre de La Mettrie pour M. le maréchal de Richelieu ; il implore sa protection. Tout lecteur qu’il est du roi de Prusse, il brûle de retourner en France. Cet homme si gai, et qui passe pour rire de tout, pleure quelquefois comme un enfant d’être ici. Il me conjure d’engager M. de Richelieu à lui obtenir sa grâce[1]. En vérité, il ne faut jurer de rien sur l’apparence.

La Mettrie, dans ses préfaces, vante son extrême félicité d’être auprès d’un grand roi qui lui lit quelquefois ses vers, et en secret il pleure avec moi. Il voudrait s’en retourner à pied ; mais moi !… pourquoi suis-je ici ? Je vais bien vous étonner.

Ce La Mettrie est un homme sans conséquence, qui cause

  1. La Mettrie avait été banni de France pour avoir écrit contre les médecins.