Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

P. S. Vous voyez donc souvent M. l’abbé de Chauvelin ? Il me rend jaloux de mes ouvrages ; il les aime, et il ne m’aime point. Vous daignez m’écrire, il me laisse là ; il s’imagine qu’il faut rompre avec les gens, parce qu’ils sont à Potsdam ; il met sa vertu à cela. J’ai le cœur meilleur que lui. Conservez-moi vos bontés, madame, et faites-moi bien sentir combien il serait doux de passer auprès de vous les dernières années d’une vie philosophique.


2255. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Juillet.

Je viens de lire Manlius[1]. Il y a de grandes beautés, mais elles sont plus historiques que tragiques ; et, à tout prendre, cette pièce ne me paraît que la Conjuration de Venise de l’abbé de Saint-Réal, gâtée. Je n’y ai pas trouvé, à beaucoup près, autant d’intérêt que dans l’abbé de Saint-Réal ; et en voici, je crois, les raisons :

1° La conspiration n’est ni assez terrible, ni assez grande, ni assez détaillée.

2° Manlius est d’abord le premier personnage, ensuite Servilius le devient.

3° Manlius, qui devrait être un homme d’une ambition respectable, propose à un nommé Rutile (qu’on ne connaît pas, et qui fait l’entendu sans avoir un intérêt marqué à tout cela) de recevoir Servilius dans la troupe, comme on reçoit un voleur chez les cartouchiens. Cela est intéressant dans la conspiration de Venise, et nullement vraisemblable dans celle de Manlius, qui doit être un chef impérieux et absolu.

4° La femme de Servilius devine, sans aucune raison, qu’on veut assassiner son père ; et Servilius l’avoue par une faiblesse qui n’est nullement tragique.

5° Cette faiblesse de Servilius fait toute la pièce, et éclipse absolument Manlius, qui n’agit point, et qui n’est plus là que pour être pendu.

6° Valérie, qui pourrait deviner ou ignorer le secret, qui, après l’avoir su, pourrait le garder ou le révéler, prend le parti d’aller tout dire et de faire son traité, et vient ensuite en avertir son imbécile de mari, qui ne fait plus qu’un personnage aussi insipide que Manlius.

  1. Le Manlius de Lafosse, joué en 1698, avait été repris en 1751. Voyez tome XXII, page 250, ce que Voltaire en a dit en 1737.