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nerie à bien prendre son temps, et à attendre que le génie de Rome suscite un autre César que Drouin pour la sauver. Je me flatte d’ailleurs que des conjurés tels que vous en seront plus encouragés, quand je ferai des efforts pour leur fournir de meilleures armes. J’avais envoyé quelques légers changements ; mais ils étaient faits trop à la hâte, et trop insuffisants. Je crois toujours qu’il faut rendre Aurélie un peu plus complice de Catilina. Ce ne serait pas la peine de l’avoir épousé en secret pour ne pas prendre son parti. Il me semble qu’il y aura quelque nouveauté, et peut-être quelque beauté, à représenter Aurélie comme une femme qui voit le précipice et qui s’y jette. D’ailleurs je ne peux rien changer au fond de son rôle et de ses situations. La tragédie ne s’appelle point Aurélie ; le sujet est Rome, Cicéron, Caton, César. C’est beaucoup qu’une femme, parmi tous ces gens-là, ne soit pas une bégueule impertinente. Je sais bien, quand le parterre et les loges voient paraître une femme, qu’on s’attend à voir une amoureuse et une confidente, des jalousies, des ruptures, des raccommodements. Aussi je ne compte pas sur un grand succès au théâtre ; mais peut-être que l’appareil de la scène, le fracas du théâtre qui règne dans cet ouvrage, les rôles de Cicéron, de Catilina, de César, pourront frapper pendant quelques représentations ; après quoi on jugera à l’impression entre cet ouvrage et les vers[1] allobroges imprimés au Louvre.

On m’a fait des objections dont quelques-unes sont annoncées et réfutées par votre lettre. Je me rends avec plus de docilité que personne aux bonnes critiques ; mais les mauvaises ne m’épouvantent pas.

Je crois qu’au quatrième acte, avant qu’Aurélie arrive, on peut augmenter encore la chaleur de la contestation sans faire sortir César de son caractère, et donner une espèce de triomphe à Catilina, afin que l’arrivée d’Aurélie produise un plus grand coup de théâtre ; mais il faut que ce débat soit court et vif. On m’a cité bien mal à propos la délibération de la scène d’Auguste avec Cinna et Maxime. Les cas sont bien différents, et le goût consiste à mettre les choses à leur place.

La première scène du cinquième acte est absolument nécessaire, cependant elle est froide ; ce n’est pas sa faute, c’est la mienne. Ce qui est nécessaire ne doit jamais refroidir. Il faut supposer, il faut dire que le danger est extrême dès le premier vers de cette scène, que Cicéron est allé combattre dans Rome

  1. Ceux du Catilina de Crébillon.