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suis, à l’autre que vous habitez, Savez-vous bien qu’il y a des choses admirables dans ce que vous m’avez envoyé ; et que, si le cœur vous en dit, vous pouvez faire de ces ouvrages quelque chose qui mettra le nom de Chimène aussi en vogue au théâtre qu’il y a jamais été ? Je vis auprès d’un monarque qui fait tant d’honneur aux lettres que je ne m’étonne plus de voir qu’on fait, dans la maison du cardinal Ximenès, ce qu’on a fait dans celle de Witikind.

Je voudrais pouvoir raisonner avec vous, papier sur table, comme je fais quelquefois avec ce grand homme. Il faudrait un volume pour s’entendre de si loin, encore ne s’entendrait-on guère. Permettez donc que je réserve pour le mois d’octobre le plaisir de vous entretenir sur ce que vous m’avez confié.

J’aurais voulu pouvoir profiter du voyage que le roi de Prusse a fait à Clèves, pour venir faire un tour à Paris ; mais je suis accablé de travail ; je n’ai pas un moment à perdre. Mon voyage aurait été trop court, et j’ai promis au roi de rester auprès de lui jusqu’au mois d’octobre. Je lui tiendrai parole, et je n’y aurai pas grand mérite : il daigne faire le bonheur de ma vie. Si j’avais imaginé un plan pour arranger ma destinée et une manière de vivre conforme à mon humeur, à mes goûts, à mon âge, à ma mauvaise santé, je n’en aurais pas choisi d’autre.

S’il plaisait seulement à la nature de me traiter comme fait le roi de Prusse, je me croirais en paradis ; mais des maladies continuelles gâtent tout le bien que me fait un grand roi. Je lui ai sacrifié du meilleur de mon cœur l’envie que j’avais de voir l’Italie et de passer par la France ; mais ce qui est différé n’est pas perdu. Il faut qu’un être pensant ait vu Rome et le roi de Prusse, et ait vécu à Paris ; après cela on peut mourir quand on veut.

Comptez, monsieur, que je mets au nombre des choses qui me font aimer ce monde les belles choses que vous m’avez envoyées, et dont j’ai grande envie de vous parler à tête reposée. Mille respects à madame votre mère ; comptez sur les sentiments inaltérables de


Voltaire.

2250. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Potsdam, le 13 juillet.

Mon cher ange, vous avez donc suivi le conseil du meilleur général[1] qu’il y ait à présent en Europe ? Il n’y a point de poltron-

  1. Voltaire parle du maréchal de Richelieu.