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veux que mon Siècle me raccommode avec lui. Algarotti en est bien content ; ce serait un gran traditore, s’il me flattait ; il y aurait conscience, car je suis bien loin d’être incorrigible. Je lui dis comme Dufresny : Faites-moi bien peur ; car il faut que, dans une histoire moderne, tout soit aussi sage que vrai, et je veux forcer la France à être contente de moi.

Ma nièce est devenue bien respectable à mes yeux. Je n’avais presque songé qu’à l’aimer de tout mon cœur ; mais ce qu’elle a fait en dernier lieu me pénètre d’estime et de reconnaissance. Elle s’est conduite avec l’habileté d’un ministre et toutes les vertus de l’amitié. À quels fripons[1] j’avais affaire ! Je détesterais les hommes s’il n’y avait pas des cœurs comme le vôtre et comme le sien. Comptez que mon cœur revole vers mes amis, mais aussi soyez bien persuadé que je n’ai pas mal fait de mettre quelque temps et quelques lieues entre moi et l’Envie. Je me suis fait ancien pour qu’on me rendît un peu plus de justice. Peut-être actuellement s’apercevra-t-on de quelque petite différence entre Catilina[2] et Rome sauvée. Je ne demande pas que ma Rome soit imprimée au Louvre ; mais je me flatte qu’elle ne déplaira pas à ceux qui aiment une fidèle peinture des Romains, en vers français qui ne soient pas goths.


Virtutem incolumem odimus,
Sublatam ex oculis quœrimus, invidi.

(Hor., lib. III, od. XXIV, v. 31.)

Vous me donnez des espérances de retrouver Mme d’Argental en bonne santé ; donnez-moi aussi celle de retrouver son amitié.

Dites-moi ce que c’est que des Mémoires[3] qui ont paru sur Mlle de Lenclos. Je m’y intéresse en qualité de légataire. Il y a ici un ministre[4] du saint Évangile qui m’a demandé des anecdotes sur cette célèbre fille ; je lui en ai envoyé d’un peu ordurières, pour apprivoiser les huguenots.

Bonsoir ; mes tendres respects à tout ce qui vous entoure, à tout ce qui partage les agréments de votre délicieux commerce. Je vous embrasse tendrement.

  1. Voltaire fait sans doute allusion au nommé André, qu’il cite dans la lettre 2184.
  2. Tragédie de Crébillon, imprimée au Louvre.
  3. Voyez la note 2, tome XXIII, page 513.
  4. Formey ; voyez la lettre 2295, et aussi la lettre du 15 avril 1752.