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l’Opéra[1], un juif joaillier, ce sont en vérité des gens dont, dans aucune sorte d’affaires, les noms ne devraient se trouver à côté du vôtre. J’écris cette lettre avec le gros bon sens d’un Allemand, qui dit ce qu’il pense sans employer de termes équivoques et de flasques adoucissements qui défigurent la vérité ; c’est à vous d’en profiter.

Fédéric.

2207. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[2].
1er mars (1751).

Madame, frère Voltaire reçut avant-hier la bénédiction de Votre Révérence royale. Le style du bon vieux temps vous sied aussi bien que celui d’aujourd’hui. Vous avez la délicatesse de l’un et la naïveté de l’autre. Si le duc de Sully avait prévu que ses paperasses économiques, royales et politiques, seraient lues un jour par Mme la margrave de Baireuth, il aurait redoublé de vanité.

Je crois, madame, que Votre Altesse royale est la première personne qui ait mis le duc de Sully au-dessus de Henri IV. Pour moi, homme très-faible, j’avoue que j’aime mieux les faiblesses de ce bon roi que toutes les vertus austères de son ministre. Je crois même qu’en fait de gouvernement Henri le Grand en savait encore plus que le duc de Sully : nous ne devons plusieurs belles manufactures, et surtout l’établissement des vers à soie, qu’à la constance éclairée de ce digne roi, qui l’emporta sur la résistance opiniâtre et aveugle de son ministre. Au reste, le duc de Sully eut souvent des procès contre des juifs qui fournissaient les armées : ainsi, il faut me pardonner d’en avoir gagné un contre un scélérat de l’Ancien Testament, que j’ai traité encore avec trop de générosité après l’avoir fait condamner. Cette affaire m’a fait une peine horrible, parce que, comme dit Votre Altesse royale, les gens de lettres ne semblent être en ce monde que pour écrire, et qu’ils ne doivent pas acheter de diamants.

M. d’Adhémar me fait espérer tous les jours qu’il sera assez heureux pour venir auprès de Votre Altesse royale. Si j’étais à sa place, il y a longtemps que je serais parti. J’espère que le chambellan d’Hamon, qui loge chez moi à Paris et qui soupe tous les jours avec le marquis d’Adhémar, ne me traversera pas dans ma négociation. Pour la dame qu’il vous faut, il n’y a pas d’ap-

  1. Travenol.
  2. Revue française, 1er février 1866 ; tome XIII, page 212.