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avez la bonté de me dire les choses qui vous ont déplu, cette bonté même m’assure que je ne vous déplairai plus. Il est bien sûr que je ne me suis pas donné à vous pour ne pas chercher à vous rendre ma conduite agréable, et que, quand on est conduit par le cœur, les devoirs sont bien doux.

Permettez-moi, sire, de dire à Votre Majesté que j’avais beaucoup connu Gross[1] à Paris ; qu’il m’était venu voir à Berlin, et que j’allai le prier de me faire venir un ballot de livres et de cartes de géographie que M. de Rasumowsky me devait envoyer. Je ne savais pas un mot de son rappel. Ce fut lui qui me l’apprit ; et quand il m’en dit la raison, je me mis à rire. Je lui dis en vérité ce qui convenait, en pareille occasion, à un homme qui apprenait cette aventure de sa bouche. C’est l’unique fois que je lui aie parlé, et l’unique ministre que j’aie vu, et je peux assurer Votre Majesté que je n’en verrai aucun en particulier.

Pardonnez-moi si je vous ai présenté des lettres de Mme  de Bentinck[2]. Je ne vous en présenterai plus.

À l’égard de la société, j’ose dire, sire, que je ne crois pas y avoir mis la moindre apparence d’aigreur ni de trouble. S’il y avait même quelqu’un dont je pusse avoir à me plaindre, je jure à Votre Majesté que tout serait oublié dans un instant, et que le bonheur d’être dans vos bonnes grâces me rendrait agréables ceux mêmes qui, étant mal instruits de l’affaire du juif, auraient trop pris parti contre moi. Je ne crois pas qu’il puisse être revenu à Votre Majesté que j’aie jamais dit un seul mot qui ait pu déplaire à personne. Daignez être très-sûr que jamais je ne mettrai même la moindre froideur dans le commerce avec aucun de ceux qui vous approchent ; et sur cela je n’aurai pas à me vaincre.

Pour le juif, daignez, sire, vous informer des juges s’il y a un homme plus inique et de plus mauvaise foi sur la terre. Il refuse, tout condamné qu’il est, les mille écus que je lui offre de gagner. Mais cela ne m’empêchera pas de profiter de la grâce que Votre Majesté daigne me faire, et d’habiter la maison, près de Potsdam, dont Votre Majesté est encore suppliée de me laisser

  1. Frédéric fit un crime à Voltaire de lui avoir fait visite au moment où ce diplomate rompait toute relation avec la cour de Prusse, sous prétexte d’un souper où il n’avait pas été invité ; voyez la note 3 de la page 235.
  2. Charlotte-Sophie d’Oldenbourg, née en 1715, mariée en 1733 à Guillaume de Bentinck, comte du Saint-Empire. Elle se sépara de son mari, et voyagea beaucoup. Voltaire, dans sa lettre du 2 septembre 1758 à Algarotti, la nomme signora errante ed amabile.