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que je suis ici. On a empêché Hirschell[1] de s’accommoder dans le temps que j’avais en main de quoi le faire mettre en prison. Enfin je me suis adressé à la justice ; et la justice, qui ne connaît rien aux intrigues et aux tracasseries, l’a fait arrêter. Un homme considérable m’a dit ce matin : « Je vous plains fort, on voudrait que vous fussiez hors d’ici, voilà la source de tout. »

Mon cher ami, je vous réponds que toutes les friponneries seront reconnues, que toute justice sera accomplie. Vous êtes ma consolation.

Voulez-vous manger avec moi aujourd’hui du rôt du roi, et me rendre le petit griffonnage que je vous donnai avant-hier ? Bonjour. Quand le petit Vigne[2] commencera-t-il ?


2164. — DE LESSING À M. RICHIER[3].

Vous me croyez donc coupable, monsieur, d’un tour des plus traîtres ? et je vous parais assez méprisable pour me traiter comme un voleur qui est hors d’atteinte : on ne lui parle raison que parce que la force n’est pas de mise.

Voilà l’exemplaire dont il s’agit. Je n’ai jamais eu le dessein de le garder. Je vous l’aurais même renvoyé sans votre lettre, qui est la plus singulière du monde. Vous m’y donnez des vues que je n’ai pas. Vous vous imaginez que je m’étais mis à traduire un livre dont M. Henning a annoncé, il y a longtemps, la traduction comme étant déjà sous presse. Sachez, mon ami, qu’en fait des occupations littéraires je n’aime pas à me rencontrer avec qui que ce soit. Au reste, j’ai la folle envie de bien traduire, et pour bien traduire M. de Voltaire je sais qu’il se faudrait donner au diable. C’est ce que je ne veux pas faire. — C’est un bon mot que je viens de dire ; trouvez-le admirable, je vous prie : il n’est pas de moi. — Mais, au fait, vous vous attendez à des excuses, et les voilà. J’ai pris sans votre permission avec moi ce que vous ne m’aviez prêté qu’en cachette. J’ai abusé de votre confiance, j’en tombe d’accord. Mais est-ce ma faute si contre ma curiosité ma bonne foi n’est pas la plus forte ? En partant de Berlin j’avais encore à lire quatre feuilles. Mettez-vous à ma place, avant que de prononcer contre moi. M. de Voltaire, pourquoi n’est-il pas un Limiers ou un autre compilateur, les ouvrages desquels on peut finir partout ? Vous dites dans votre lettre :

  1. Voyez la note 2 de la page 221.
  2. Secrétaire de Darget, peut-être chargé de copier le Siècle de Louis XIV.
  3. Richier, secrétaire de Voltaire, avait prêté secrètement à Lessing la première partie du Siècle de Louis XIV. Lessing l’avait emportée en quittant Berlin. Voltaire apprit que son ouvrage courait les champs. Il adressa de violents reproches à son secrétaire, et il lui fit écrire à Lessing une lettre que nous ne possédons pas. La réponse de Lessing, que nous donnons ici, a été imprimée par M. Adolf Stahr, Lessing : sein Leben und seine Werke, Berlin, 1864, et reproduite par M. Desnoiresterres, Voltaire et Frédéric, page 163.