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non pas des blancs-becs, non pas de sots faiseurs de vers ampoulés, mais bonne compagnie, mais gens dignes de vous faire leur cour. Ah ! madame, il me passe quelquefois des romans par la tête. Je me dis : Si pendant les mois de novembre, de décembre et de janvier, où le roi a assez de monde, on pouvait aller rendre ses respects à sa divine sœur ! Si, pendant que j’y viendrais de l’orient, ma nièce y venait de l’occident ! Et puis des opéras, des tragédies nouvelles : cela ne vaudrait-il pas mieux que d’aller en Italie ? Madame, je vous préférerais à Saint-Pierre de Rome, à la ville souterraines[1], au pape. Cela est-il impossible ? Je n’en sais rien. Je vis au jour la journée, je travaille au Siècle de Louis XIV soir et matin ; je fais un grand tableau de la révolution de l’esprit humain dans ce siècle où l’on a commencé à penser depuis les Alpes jusqu’aux Krapaths. Cela pourra amuser les loisirs de Votre Altesse royale. Mais je veux chasser de ma tête mon roman de Baireuth. Car rêver qu’on a un trésor et se réveiller les mains vides, cela est trop triste.

J’écris tout cela au son du tambour et des trompettes, et de mille coups de fusil qui assourdissent mes pacifiques oreilles. Cela est bon pour Frédéric le Grand. Il lui faut des armées le matin, et Apollon l’après-midi. Il a tout : il carre des bataillons et des périodes. Du reste, chaque frère est dans sa cellule paisiblement ; M. de Rottembourg toujours malade, Maupertuis aussi, frère Pöllnitz un peu triste, moi toujours malingre, toujours travaillant, toujours plein de l’envie de faire ma cour à Vos Altesses royales. Serait-il permis, sauf le respect, de ne pas oublier M. de Montperny ? Le papier manque, point de place pour les très-profonds respects. Qu’importe ?

Voltaire.

2159. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Potsdam, ce 11 décembre.

Me voilà toujours Sancho-Pança dans mon île[2], après avoir été Chie-en-pot-la-Perruque parfois. Mes divins anges, comment voulez-vous que je me mette en chemin avec ma chétive santé, et que je sorte du coin du feu pour m’embourber dans la Westphalie ? Je m’étais cru capable de revenir au mois de janvier ; vous me faisiez oublier mon âge, ma faiblesse, et enfin le roi de

  1. Pompéi.
  2. Potsdam est dans une île formée par la Sprée et le Havel.