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2147. — À M. MORAND[1].
Potsdam, 17 novembre.

Les bontés, monsieur, que vous avez eues pour d’Arnaud, et l’estime véritable que vous m’avez toujours inspirée, m’autorisent à vous informer du malheur que le pauvre garçon s’est attiré par sa mauvaise conduite. Il ne tenait qu’à lui de jouir ici d’un sort heureux auquel il n’aurait jamais dû prétendre, et qu’il devait en partie à mes soins. Le roi lui donnait cinq mille francs de pension, et, s’il avait été sage, il était sûr d’une plus grande fortune. Sa Majesté le regardait comme mon élève ; et vous savez que je lui avais servi longtemps de père. Jugez, monsieur, quelle a été mon affliction quand je l’ai vu se couvrir ici de ridicules et d’opprobres, soulever contre lui toute la nation, faire des dettes, se donner pour un homme de qualité, se plaindre de ne pas souper avec le roi, et couronner enfin tant d’impertinences par les perfidies les plus atroces. Il a forcé le roi à prendre la résolution de le chasser. Il pouvait encore éviter sa disgrâce, en demandant pardon, en se corrigeant ; mais l’extravagante vanité qui le domine l’a poussé au précipice.

Je suis désespéré qu’un homme que nous avions aimé tous deux s’en soit rendu si indigne. Je sais qu’il a écrit contre moi, dans sa fureur, des calomnies absurdes ; j’en ai la preuve, et j’ai en même temps les preuves qui manifestent son imposture. Il est douloureux pour moi, et sans doute pour vous, monsieur, dont la probité et les mœurs aimables sont si connues, que ce soit encore un de vos commensaux qui soit de moitié dans toutes ces infamies : c’est le sieur Fréron à qui d’Arnaud s’est adressé pour répandre dans le public ces calomnies dont je me plains.

Je me flatte que vous savez à quoi vous en tenir, et que vous vous êtes assez aperçu qu’il n’y a que des hommes sages et approuvés du public qui méritent d être de vos amis. Si Fréron approche encore de vous, il est d’un cœur aussi généreux que le vôtre de lui remontrer quel détestable emploi c’est de ne se servir de son esprit que pour tâcher de nuire à ses compatriotes, pour se faire de gaieté de cœur une foule d’ennemis qui, tôt ou tard, est à craindre ; combien il est avilissant pour les belles-lettres d’amuser un public malin de querelles misérables dont

  1. Éditeurs, de Cayrol et François. — M. Morand était chirurgien-major des Invalides.