Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait fait du bruit à Paris ; que M. Berryer avait voulu voir la lettre de d’Arnaud à Fréron ; que cette lettre était publique. Franchement vous me rendrez, mon cher ange, un service essentiel, en me mettant au fait[1] de toute cette impertinence. Et savez-vous bien quel service vous me rendrez ? celui de me procurer plus tôt le bonheur de vous embrasser : car je ne puis partir d’ici que cette affaire ne soit éclaircie. Vous me direz : Voilà ces épines que j’avais prédites ; pourquoi aller chercher des tracasseries à Berlin ? N’en aviez-vous pas assez à Paris ? Que ne laissiez-vous Baculard briller seul sur les bords de la Sprée ? Mais, mon cher ami, pouvais-je deviner qu’un jeune homme que j’ai élevé, et qui me doit tout, me jouât un tour si perfide ? Qu’on mette au bout du monde deux auteurs, deux femmes, ou deux dévots, il y en aura un qui fera quelque niche à l’autre. L’espèce humaine étant faite ainsi, il n’y a d’autre parti à prendre que celui de se tirer d’affaire le plus prudemment et le plus honnêtement qu’il se pourra. Je vous supplie donc de me mander tout ce que vous savez. Ne pourrait-on pas avoir une copie de la lettre de d’Arnaud à Fréron ? Je ne dis pas de la lettre contenue dans les feuilles fréroniques[2], dans laquelle d’Arnaud désavoue la Préface en question ; je parle de la lettre particulière dans laquelle il se déchaîne, lettre que Fréron aura sans doute communiquée.

À l’égard de cette Préface que j’ai proscrite il y a longtemps, j’ignore si le libraire de Rouen m’a tenu parole. J’ai fait ce que j’ai pu ; mais à trois cents lieues on court risque d’être mal servi. Je voudrais que la Préface, et l’édition, et d’Arnaud, fussent à tous les diables. Je vous demande très-humblement pardon de vous entretenir de ces niaiseries ; mais ne me suis-je pas fait un devoir de vous rendre toujours compte de ma conduite et de mes petites peines ? Chacun a les siennes, rois, bergers, et moutons. J’attends tout de votre amitié. Communiquez ma lettre au coadjuteur, qui est si paresseux d’écrire, et qui ne l’est jamais d’être bienfaisant.

P. S. J’écris à M. Berryer ; je lui envoie cette Préface, afin qu’il soit convaincu par ses yeux de l’imposture ; qu’il impose silence à Fréron, ou qu’il l’oblige à se rétracter.

  1. Voyez ci-après, lettre 2150.
  2. Je n’ai pas trouvé la lettre de d’Arnaud dans les Lettres sur quelques écrits de ce temps, 1749-54, treize volumes in-12. (B.)