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cruel qu’il voulait me jouer à Paris, et il a abusé de la confiance dont Son Altesse royale l’honore pour le tromper et pour se ménager, à ce qu’il prétendait, une ressource et une excuse lorsque la calomnie serait découverte. Le respect pour Votre Majesté me défend d’entrer dans les détails de la conduite de d’Arnaud. Mais, sire, voyez ce que vous voulez que je fasse. J’ai passé par-dessus les bienséances de mon âge ; j’ai représenté des rôles pour la famille royale ; j’ai obéi avec joie aux moindres ordres que j’ai reçus, et, en cela, je crois avoir fait mon devoir ; mais puis-je jouer la comédie chez monseigneur le prince Henri avec d’Arnaud, qui m’accable de tant d’ingratitude et de perfidie ? Cela est impossible. Mais je ne veux pas faire le moindre éclat ; je crois que je dois garder surtout un profond silence. Il me semble, sire, que si d’Arnaud, qui va aujourd’hui à Berlin dans les carrosses du prince Henri, y restait pour travailler, pour fréquenter l’Académie, en un mot, sur quelque prétexte, je serais par là délivré de l’extrême embarras où je me trouve. Son absence mettrait fin aux tracasseries sans nombre qui déshonorent le palais de la gloire, et troublent l’asile du repos le plus doux. Je m’en remets à la prudence, à la bonté de Votre Majesté. Je ne parlerai pas même à Darget de tout ce que j’ai l’honneur de vous écrire. Soyez très-sûr que la conduite de d’Arnaud peut faire un éclat très-fâcheux dans l’Europe par la foule des gazetiers et des barbouilleurs de papier qui veulent deviner tout ce qui se passe chez Votre Majesté. Au nom de votre gloire, sire, prévenez tout cela, et soyez bien sûr que mon attachement pour votre personne surpasse beaucoup l’embarras où je me vois. Quels petits chagrins ne sont pas noyés dans l’extrême bonheur de voir et d’entendre Frédéric le Grand !


2146. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Potsdam, ce 14 novembre.

Chie-en-pot-la-Perruque[1] a été fidèle à sa destinée, et il est juste qu’il vous dise que les petits garçons courent toujours après lui. Vous saurez, mon cher ange, que j’ai eu le malheur d’inspirer à mon élève d’Arnaud la plus noble jalousie. Cet illustre rival était arrivé ici recommandé par le sage d’Argens, et attendu comme celui qui consolait Paris de ma décadence. Il arriva donc par le

  1. Voltaire lui-même ; voyez la lettre du 15 octobre.