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bien elle est approuvée de ma nouvelle cour. Je ne sais pas, mon cher et respectable ami, d’où peut venir le bruit qui s’est répandu qu’il était entré un peu de dépit dans ma transmigration. Il s’en faut bien que j’y aie donné le moindre sujet ; le contraire respire dans toutes les lettres que j’ai écrites à ceux qui pouvaient en abuser.

J’ai cru avoir des raisons bien fortes de me transplanter. Je mène d’ailleurs ici une vie solitaire et occupée qui convient à la fois à ma santé et à mes études. De mon cabinet je n’ai que trois pas à faire pour souper avec un homme plein d’esprit, de grâces, d’imagination, qui est le lien de la société, et qui n’a d’autre malheur que d’être un très-grand et très-puissant roi. Je goûte le plaisir de lui être utile dans ses études, et j’en prends de nouvelles forces pour diriger les miennes. J’apprends, en le corrigeant, à me corriger moi-même. Il semble que la nature l’ait fait exprès pour moi ; enfin toutes mes heures sont délicieuses. Je n’ai pas trouvé ici le moindre bout d’épine dans mes roses. Eh bien ! mon cher ami, avec tout cela je ne suis point heureux, et je ne le serai point ; non, je ne le serai point, et vous en êtes cause. J’ai bien encore un autre chagrin, mais ce sera pour notre entrevue : le bonheur de vous revoir l’adoucira. Si je vous en parlais à présent, je m’attristerais sans consolation. Je ne veux vous montrer mes blessures que quand vous y verserez du baume.

Préparez-vous à voir encore Rome sauvée sur notre petit théâtre du grenier[1] ; je me soucie fort peu de celui du faubourg Saint-Germain. Adieu, vous qui me tenez lieu de public, vous que j’aimerai tendrement toute ma vie. Adieu, vous que je n’ai pu quitter que pour Frédéric le Grand. Mille tendres respects au Bois de Boulogne[2].


2136. — DU PRINCE LOUIS DE WURTEMBERG[3].
Stuttgard, ce 17 octobre.

J’ai reçu, monsieur, la lettre dont il vous a plu m’honorer. J’y vois avec plaisir les raisons qui vous ont engagé à vous établira la cour de Berlin ; elles

  1. Au-dessus du second dans la maison qu’occupait Voltaire (et en son absence Mme  Denis), rue Traversière. Le Théâtre-Français était au faubourg Saint-Germain, dans la rue appelée aujourd’hui (1880) de l’Ancienne-Comédie.
  2. Voltaire, pour désigner l’habitation de d’Argental, emploie indifféremment les expressions de Bois de Boulogne, Porte-Maillot, Neuilly.
  3. Voyez lettre 2096.