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plaigne personne : car, sous ces cabanes enfumées, et avec cette nourriture détestable, ces hommes des premiers temps sont sains, vigoureux et gais. Ils ont tout juste la mesure d’idées que comporte leur état.


Ce n’est pas que je les envie :
J’aime fort nos lambris dorés ;
Je bénis l’heureuse industrie
Par qui nous furent préparés
Cent plaisirs par moi célébrés,
Frondés par la cagoterie,
Et par elle encor savourés.
Mais sur les huttes des sauvages
La nature épand ses bienfaits ;
On voit l’empreinte de ses traits
Dans les moindres de ses ouvrages.
L’oiseau superbe de Junon,
L’animal chez les Juifs immonde,
Ont du plaisir à leur façon ;
Et tout est égal en ce monde.

Si j’étais un vrai voyageur, je vous parlerais du Wéser et de l’Elbe, et des campagnes fertiles de Magdebourg, qui étaient autrefois le domaine de plusieurs saints archevêques, et qui se couvrent aujourd’hui des plus belles moissons (à regret sans doute) pour un prince hérétique ; je vous dirais que Magdebourg est presque imprenable ; je vous parlerais de ses belles fortifications, et de sa citadelle construite dans une île entre deux bras de l’Elbe, chacun plus large que la Seine ne l’est vers le pont Royal. Mais comme ni vous ni moi n’assiégerons jamais cette ville, je vous jure que je ne vous en parlerai jamais.

Me voici enfin dans Potsdam. C’était sous le feu roi la demeure de Pharasmane[1] ; une place d’armes et point de jardin, la marche du régiment des gardes pour toute musique, des revues pour tout spectacle, la liste des soldats pour bibliothèque. Aujourd’hui c’est le palais d’Auguste, des légions et des beaux esprits, du plaisir et de la gloire, de la magnificence et du goût, etc.

  1. Pharasmane, dans le Rhadamiste et Zénobie, de Crébillon, dit, acte II, scène ii :

    La nature marâtre, en ces affreux climats,
    Ne produit, au lieu d’or, que du fer, des soldats.