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Mais, mon cher monsieur, j’ai par-dessus vous des souffrances de corps continuelles. Que ferait un malingre, un cadavre ambulant, à la cour d’un jeune roi qui se porte bien, et qui a de l’imagination et de l’esprit du soir au matin ? Cependant je vous avoue ma faiblesse ; je n’aurais point de plus grande consolation que celle de le voir et de l’entendre encore avant d’aller rendre visite aux Antonins, aux Chaulieu, aux Chapelle, ses devanciers.

Je suis enchanté de tout le bien que vous me dites de mon cher d’Arnaud. Je voudrais bien qu’il lût, quand il n’aura rien à faire, le rogaton que je vous envoie. Buvez tous deux à ma santé, cela me fera peut-être du bien.


2082. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Paris, le 8 mai.

Oui, grand homme, je vous le dis,
Il faut que je me renouvelle.
J’irai dans votre paradis
Du feu qui m’embrasait jadis
Ressusciter quelque étincelle,
Et, dans votre flamme immortelle
Tremper mes ressorts engourdis.
Votre bonté, votre éloquence,
Vos vers coulant avec aisance,
De jour en jour plus arrondis,
Sont ma fontaine de Jouvence.

Mais il ne faut pas tromper son héros. Vous verrez, sire, un malingre, un mélancolique, à qui Votre Majesté fera beaucoup de plaisir, et qui ne vous en fera guère ; mon imagination jouira de la vôtre. Ayez la bonté de vous attendre à tout donner sans rien recevoir. Je suis réellement dans un très-triste état ; d’Arnaud peut vous en avoir rendu compte. Mais enfin vous savez que j’aime cent fois mieux mourir auprès de vous qu’ailleurs. Il y a encore une autre difficulté ; je vais parler, non pas au roi, mais à l’homme qui entre dans le détail des misères humaines. Je suis riche, et même très-riche pour un homme de lettres. J’ai ce qu’on appelle à Paris monté une maison où je vis en philosophe, avec ma famille et mes amis. Voilà ma situation ; malgré cela, il m’est impossible de faire actuellement une dépense extraordinaire : premièrement, parce qu’il m’en a beaucoup coûté pour établir mon petit ménage ; en second lieu, parce que les affaires de Mme  du Châtelet, mêlées avec ma fortune, m’ont coûté encore