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Ferait condamner par ses cris
Mes pauvres vers à la Bastille.
Je hais ces funestes lambris ;
Ma Muse, les Jeux et les Ris,
Dans ma demeure tant gentille
Ne craignent point pareils mépris.
C’est assez lorsqu’on sa jeunesse
On a tàté de la prison[1] ;
Mais dans l’âge de la sagesse
Y retourner, c’est déraison.

Ainsi, mon cher Voltaire, si vous voulez voir de mes sottises, il faut venir sur les lieux ; il n’y a plus moyen de reculer. Le poëme, à la vérité, ne vous payera pas des fatigues du voyage ; mais le poëte qui vous aime en vaut peut-être la peine. Vous verrez ici un philosophe qui n’a d’autre passion que celle de l’étude, et qui sait, par les difficultés qu’il trouve dans son travail, reconnaître le mérite de ceux qui, comme vous, y réussissent aussi supérieurement.

Il est ici une petite communauté qui érige des autels au dieu invisible ; mais, prenez-y bien garde, des hérétiques élèveront sûrement quelques autels à Baal, si notre dieu ne se montre bientôt. Je n’en dis pas davantage. Adieu.

Fédéric

.


2080. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[2].

J’ai envie de donner Cicéron à Lekain, pour faire valoir Lekain et Cicéron. Mais, divin ange, pourriez-vous avoir la bonté de venir l’entendre ce matin ? Je ne peux sortir ; venez, je vous en prie.


2081. — À M. DARGET.
À Paris, le 6 mai 1750.

Voici une seconde faffée[3] des nouvelles de l’abbé Raynal. Je souhaite qu’elles puissent adoucir la tristesse où vous êtes encore[4].

Ma mélancolie cadrerait bien avec la vôtre.


Oderunt hilarem tristes, tristemque jocosi[5].

  1. Allusion au séjour forcé que Frédéric fit à Cüstrin, du 4 septembre 1730 au 26 février 1732.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François. — Voltaire, ayant vu jouer Lekain à l’hôtel de Clermont, s’était épris du jeune artiste, et s’apprêtait à le produire dans Rome sauvée, sur le théâtre de son hôtel, rue Traversière. Lékain joua Statilius (personnage supprimé depuis), et Voltaire lui-même se chargea du rôle de Cicéron.
  3. Ce mot se trouve dans Villon, Grand Testament, octave cliii.
  4. Darget venait de perdre sa femme.
  5. Horace, livre II, épître xviii, vers 89.