Il y a de quoi purger toute la France avec les pilules[1] que vous me demandez, et de quoi tuer vos trois Académies. Ne vous imaginez pas que ces pilules soient des dragées ; vous pourriez vous y tromper. J’ai ordonné à Darget[2] de vous envoyer de ces pilules qui ont une si grande réputation en France, et que le défunt Stahl faisait faire par son cocher ; il n’y a ici que les femmes grosses qui s’en servent. Vous êtes, en vérité, bien singulier de me demander des remèdes, à moi qui fus toujours incrédule en fait de médecine.
Quoi ! vous avez l’esprit crédule
À l’égard de vos médecins,
Qui, pour vous dorer la pilule,
N’en sont pas moins des assassins !
Vous n’avez plus qu’un pas à faire,
Et je vois mon dévot Voltaire
Nasiller chez les capucins[3].
Faites ce que vous pourrez pour vous guérir : il n’y a de vrai bien en ce monde que la santé ; que ce soient les pilules, le séné, ou les clystères, qui vous rétablissent, peu importe ; les moyens sont indifférents, pourvu que j’aie encore le plaisir de vous entendre, car il ne sera plus possible de vous voir ; vous devez être tout à fait invisible à présent.
Malgré la Sorbonne plénière,
J’avais fermement dans l’esprit
Que l’homme n’est qu’une matière
Qui naît, végète, et se détruit ;
De cette opinion qu’on blâme
Je reconnais enfin les torts :
Car j’admire votre belle âme,
Et je ne vous crois plus de corps.
- ↑ Voyez les lettres 1862, 1972, 1977.
- ↑ Voyez une note sur la lettre 1947.
- ↑ Voltaire fut, en 1770, agrégé à l’ordre des capucins ; voyez, tome VIII, les Stances à Saurin.