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1958 — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 5 mars.

Il y a de quoi purger toute la France avec les pilules[1] que vous me demandez, et de quoi tuer vos trois Académies. Ne vous imaginez pas que ces pilules soient des dragées ; vous pourriez vous y tromper. J’ai ordonné à Darget[2] de vous envoyer de ces pilules qui ont une si grande réputation en France, et que le défunt Stahl faisait faire par son cocher ; il n’y a ici que les femmes grosses qui s’en servent. Vous êtes, en vérité, bien singulier de me demander des remèdes, à moi qui fus toujours incrédule en fait de médecine.


Quoi ! vous avez l’esprit crédule
À l’égard de vos médecins,
Qui, pour vous dorer la pilule,
N’en sont pas moins des assassins !
Vous n’avez plus qu’un pas à faire,
Et je vois mon dévot Voltaire
Nasiller chez les capucins[3].

Faites ce que vous pourrez pour vous guérir : il n’y a de vrai bien en ce monde que la santé ; que ce soient les pilules, le séné, ou les clystères, qui vous rétablissent, peu importe ; les moyens sont indifférents, pourvu que j’aie encore le plaisir de vous entendre, car il ne sera plus possible de vous voir ; vous devez être tout à fait invisible à présent.


Malgré la Sorbonne plénière,
J’avais fermement dans l’esprit
Que l’homme n’est qu’une matière
Qui naît, végète, et se détruit ;
De cette opinion qu’on blâme
Je reconnais enfin les torts :
Car j’admire votre belle âme,
Et je ne vous crois plus de corps.

  1. Voyez les lettres 1862, 1972, 1977.
  2. Voyez une note sur la lettre 1947.
  3. Voltaire fut, en 1770, agrégé à l’ordre des capucins ; voyez, tome VIII, les Stances à Saurin.