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De cette flamme respectée
Ne parlons jamais qu’à genoux.
Chez vous elle ne peut s’éteindre ;
Mais, pour que je n’ose m’en plaindre,
J’exige quelques vers de vous.

C’est un défi dans toutes les formes ; vous passerez pour un lâche si vous n’y répondez : l’esprit ni les vers ne vous coûtent rien ; n’imitez donc pas les Hollandais, qui, ayant seuls des clous de girofle, n’en vendent que par faveur. Horace, votre devancier, envoyait des épîtres à Mécène autant qu’il en voulait ; Virgile, votre aïeul, ne faisait pas des poèmes épiques pour tout le monde, mais bien des églogues ; mais vous, dans l’opulence de l’esprit et possédant tous les trésors de l’imagination la plus brillante, vous êtes le plus grand avare d’esprit que je connaisse : faut-il être aussi difficile pour quelques vers de votre superflu qu’on vous demande ? Ne me fâchez pas ; mon impatience me pourrait tenir lieu d’Apollon, et peut-être ferais-je une satire sur les avares d’esprit ; mais si je reçois une lettre bien jolie, comme vous en faites souvent, j’oublierai mes sujets de plainte, et je vous aimerai bien. Adieu.

Fédéric.

2054. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
Janvier 1750.

Divin ange, la tête me tourne. Je suis malade ; je n’en travaille pas moins, peut-être mieux, M. Dutertre[2] m’avait hier échauffé le sang ; vous me le calmez ; vous mettez du baume sur toutes les blessures. Vous êtes ma consolation, salus et vita mea. Vivat Mme  d’Argental !


2055. — À MADEMOISELLE CLAIRON[3],
Le 12 janvier au soir[4].

Vous avez été admirable ; vous avez montré dans vingt morceaux ce que c’est que la perfection de l’art, et le rôle d’Électre est certainement votre triomphe ; mais je suis père, et, dans le plaisir extrême que je ressens des compliments que tout un



  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Notaire, collègue de Laleu, dont Voltaire parlera plus tard. (A. F.)
  3. Claire-Josèphe Leiris de La Tude, si connue sous le nom de Clairon, naquit en 1723, débuta au Théâtre-Français le 19 septembre 1743, et quitta le théâtre en avril 1765. Mlle  Clairon est morte le 18 janvier 1803.
  4. Après la première représentation d’Oreste. (K.)