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Il terrassa tous vos marquis,
Précieuses, faux beaux esprits,
Faux dévots à triple tonsure,
Nobles sortis de la roture,
Médecins, juges et badauds :
Molière voyait la nature,
Il en faisait de grands tableaux.

Les goûts frelatés et nouveaux,
Qu’introduisirent ses rivaux
Lassés de sa forte peinture,
À la place de nos défauts.
Et d’une plaisante censure,
Qui pouvait corriger nos mœurs,
Surent affadir de Thalie
Le propos léger, la saillie
Dont sa morale est embellie ;
Et pour comble de leurs erreurs
Ils déguisèrent Melpomène,
Qui vient sur la comique scène
Verser ses héroïques pleurs
Dans les atours d’une bourgeoise
Languissante, triste et sournoise,
Disant d’amoureuses fadeurs.

Dans cette nouvelle hérésie
On connaît aussi peu le ton
Que doit avoir la comédie.
Qu’on trouve la religion
Dans les traits de l’apostasie.

Comme vous n’avez pu réussir à m’attirer dans la secte de La Chaussée, personne n’en viendra à bout : j’avoue cependant que vous avez fait de Nanine tout ce qu’on en pouvait espérer. Ce genre ne m’a jamais plu ; je conçois bien qu’il y a beaucoup d’auditeurs qui aiment mieux entendre des douceurs à la comédie que d’y voir jouer leurs défauts, et qui sont intéressés à préférer un dialogue insipide à cette plaisanterie fine qui attaque les mœurs. Rien n’est plus désolant que de ne pouvoir pas être impunément ridicule. Ce principe posé, il faut renoncer à l’art charmant des Térence et des Molière, et ne se servir du théâtre que comme d’un bureau général de fadeurs où le public peut apprendre à dire : Je vous aime, de cent façons différentes. Mon zèle pour la bonne comédie va si loin que j’aimerais mieux y être joué que de donner mes suffrages à ce monstre bâtard et flasque que le mauvais goût du siècle a mis au monde.

Depuis Nanine je n’entends plus parler de vous, donnez-moi donc signe de vie.


Votre muse est-elle engourdie ?
L’hiver a-t-il pu la glacer ?
Le beau feu de votre génie
Ne saurait-il plus s’élancer ?
Ah ! c’est un feu que Prométhée
Sut dérober aux dieux jaloux :